jeudi 28 mai 2015

"Bunt Auf Grau" de Revok est le tableau parfait de la morosité ambiante.



Sortir un album sombre, pour certains c'est le noyer sous des tonnes de riffs surabondants de lourdeur, avec des growls d'ogre et des ambiances écrasantes, ou des blast beats en boucle soutenus par de terrifiants hurlements proche d'un cri de chien égorgé. D'autres le font avec beaucoup moins d'artifices, de manière innée, naturelle, en s'inspirant tout simplement de ce que la vie donne de pire à endurer. Revok l'a bien compris, et entreprend cette démarche depuis plusieurs années, en traçant son petit bonhomme de chien sans se presser. Né sur les cendres de Belle Epoque, Gameness ou encore Brume Retina, le groupe de banlieue parisienne s'est doucement construit son univers, ressemblant à de moins en moins de groupes existants à chaque album. Mais concrètement, c'est fait par et pour des fans de sludge, de noise rock et de post-hardcore, le tout soumis à une grosse dose d'un désespoir qui est loin de s'apaiser après près de 20 ans de musique pour chacun des musiciens... Bon sang, la vie est si nulle que ça à Vélizy-Villacoublay ? Je sais que le paysage est d’un triste criant, mais quand même, Vélizy 2 c’est quand même cool pour faire ses courses, puis y'a méga-plein de bus qui vont partout dans la région en partant de là ! Bon OK, c'est un bled nul.

Fin Janvier, les garçons ont sorti Bunt Auf Grau, leur troisième full-length, faisant suite au déjà troublant et atypique Grief Is My New Moniker. Là ou son prédécesseur proposait déjà un post-HxC sludgy mais pas trop, tendu comme une corde au cou bien nouée, étouffant et grinçant, aux répétitions lancinantes et assassines, ils ont décidé de pousser le vice à l'extrême avec le nouveau. Nous voilà plongé au plus profond de la détresse sociale, de la banalité la plus pénible. De la première à la dernière chanson, on est embarqué dans un univers dont les couleurs semblent être aussi glauques et tristes que la banlieue où vivent les musiciens, que les bureaux dans lesquelles on bosse, les machines derrière lesquelles on se fatigue. On y voit le noir, le gris, mais aussi le vert d'une forêt ou l'on se serait perdu, d'ou partirait cet écho, celui d'un homme moderne qui hurlerait son désarroi, résonnant malheureusement dans un vide assourdissant (mais de manière un peu plus concrète, un chanteur qui fait beaucoup joujou avec de la réverbération). On y voit le temps orageux illustré par l'artwork, aux traits aussi innocents qu'agressifs. Et toujours ces boucles lancinantes et lacrymales, jusqu'au dernier morceau éponyme long de 10 minutes, presque un supplice si l'on est un tant soit peu sensible. Sur "Dear Worker", le quartet s'exprime plus violemment que jamais, en exécutant un punk hardcore froid, frontal, qui dans le chant ne se situe pas loin du black metal... Bunt Auf Grau atteint un point culminant sur "Old Marrow Part II", l'expression sonore précise de la panique, du stress, de la paranoïa, illustrés par des boucles hypnotisantes, et par un groove cynique qui te donne envie de revenir sur ce titre voué à te rappeler à ce qui t'effraie chaque jour... C'est vicieux. Une dureté musicale faisant pair avec la dureté des tourments quotidiens. 

Ce dont parlent précisément ces complaintes qui se dispersent sur une étendue aussi dense que l'ennui criant qui découle des ensembles gris des zones industriminelles parichiennes, c'est l'hypocrisie quotidienne, celle où l'on gît chaque jour au travail, devant son café toujours plus amer à mesure que le temps et les déceptions passent, devant nos collègues arrogants et avares, dans la pourriture et de la haine qui en ressort, de cette moisissure où l'on croupira au lieu de monter dans ces soit-disant cieux que l'on idéalise quitte à sacrifier notre temps de vie et foncer droit dans le mur de la péremption. Fais-toi une raison : "Everything is spineless, very low, and very ugly". Malgré toute cette poisse, cette crasse, il subsiste quelques lueurs, blafardes mais nécessaires à notre survie, celles à laquelle on se raccroche pour éviter la chute. En témoigne les quelques légères brises sur lesquelles démarre "Perfection Is A Sin", qui pourtant se voudra sans pitié au fur et à mesure que cette marée sonore opaque se déverse sur nos tympans, desservie par une production brute de décoffrage, ce hardcore noir et malade, ce metal schizophrène et torturé, chacun sortis tout droit de la fin des années 90, chacun nourris de la décadence dans laquelle s'est engouffrée sans possibilité de retour notre monde, précisément à cette époque.

Tu sais, cet album me met mal à l'aise quelque part, parce que cette musique est vraiment interprétée à fleur de peau, les nerfs à vif, c'est vraiment les tripes de chacun qui sont dégueulées sans retenue, et c'est un propos qui peut facilement être assimilé à ce que l'on vit chaque jour nous-même. Cette tristesse et cette rage te fout le cafard à toi aussi, t'as envie d'aller voir ces mecs et de leur demander si ils vont bien, d'aller les consoler comme tu le ferais avec tes proches. Derrière ces assauts meurtriers pour le moral, croirais-tu au premier abord que l'un des membres du groupe est un papa aimant et tout doux ? C'est ça que j'aime bien avec la musique de darons de X ou Y scène en règle générale, ils paraissent toujours plus durs avec le temps, mais derrière leur musique se cache souvent des gens super gentils. Une sensibilité qui se ressent sur les élans mélodiques et légers qu'ils calent tant bien que mal mais avec habilité au milieu de ces terrains marécageux et gras. C'est ainsi qu'on se rend compte que c'est vraiment des gens comme tout le monde qui sont à l'origine de ces morceaux abruptes et râpeux, qui connaissent les mêmes problèmes personnels, professionnels, financiers que toi, ce qui ajoute encore davantage à la véracité, la sincérité des propos, des sentiments qui se dégagent de ce marasme ambiant. 

Ce qui est assez fou, c'est que même si tu sais que tu as déjà probablement entendu tel riff, telle tonalité, tel jeu de batterie sur un morceau d'un de tes groupes favoris, l'ensemble en lui-même ne ressemble à rien de précis. Et c'est assez fort aujourd'hui quand on fait du post-hardcore, tant cette scène est prolifique en termes de groupes actifs et que les idées s'épuisent vite en conséquence. Une bonne leçon donnée à la jeunesse, que diable ! J'ai 22 ans, alors je suppose que ça marche aussi comme une leçon à mon égard... Un disque éprouvant pour les nerfs et l’esprit, une sorte de sarcasme musical, se complaisant à donner du rythme à l'ennui, à la perdition. Une mise à l’épreuve, un récit blessant et blasant de la vie de l’Homme et de sa chute, de sa faiblesse. Un album assez impressionnant en termes d'intensité et de spontanéité, qui je l'espère ne sombrera pas trop vite dans les abysses de l'industrie musicale et des internets, impitoyable avec les albums marginaux dont le but premier n'est pas nécessairement d'être rentabilisé, mais compris.

Bisous.


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