mardi 10 juillet 2018

[REPORT] • Respire x LOVE/LUST x Yotsuya Kaidan x Untitled With Drums @ Montreuil, La Comédia Michelet, 27/06/2018


Artwork par Ny Omena.


La chaleur commençait à devenir écrasante, sous ce soleil de plomb, en banlieue parisienne, en cette fin Juin, pourtant très attendue après ces mois de mauvais temps. Aller voir des concerts dans cette situation peut relever du défi, mais c'est quand même vachement agréable de s'y pointer dans une ambiance "vacances" et avec son plus beau short. La plupart des shorts étaient noirs ce soir, pour concorder avec l'ambiance musicale de ce concert : du black metal et du screamo étaient au programme à La Comédia Michelet (Montreuil), un bar-concert aux idéaux punk DIY parmi les derniers du genre en banlieue parisienne, là où la gentrification et la soit-disante "sécurité" n'ont pas encore eu raison de ces lieux où la culture alternative brille encore de mille feux. Respire, LOVE/LUST, Yotsuya Kaidan et Untitled With Drums constituaient le line-up riche et varié de cette soirée, des noms que bien peu de gens connaissent à Paris, mais une trentaine de personnes se sont quand même déplacées par curiosité, où parce qu'effectivement, elles connaissaient les groupes... En effet, le screamo n'est pas totalement mort à Paris, et on sait tou-te-s la détermination des fans de BM pour chercher à découvrir des groupes underground et dénicher des perles : je pense que cette soirée ne les aura pas déçu-e-s.

C'est le groupe de Clermont-Ferrand, Untitled With Drums, qui a ouvert la soirée, quasi dans les temps. Ils ne proposent pas de blast beats et de déluge sonore, mais plutôt quelque chose de beaucoup plus traînant et... Moite ? C'était raccord avec le temps. Il y avait un quelque chose de "stoner" dans leur musique, ce côté "musique du désert", tout en ne sonnant pas comme un truc à écouter en Mustang sur la Route 66 mais bien comme quelque chose de profondément hypnotisant. Ça m'a un peu rappelé Cloakroom, dans l'idée. Beaucoup de nouveaux morceaux ont été joués, et on fait forte impression devant une audience qui découvrait dans son ensemble le groupe français. Ça jouait fort, avec attention, sans trop d'interactions et sont plutôt concentrés sur scène. Une manière de nous mettre dans le bain, avec la même chaleur que dehors, à peu de choses près...


Le contraste avec le groupe suivant, Yotsuya Kaidan, était quelque peu violent. D'entrée de jeu, le chanteur a pris possession de la petite "fosse" (soit les 2 mètres à tout casser qui sépare la scène du mur d'en face), s'accaparant tout l'espace, aux risques et périls des personnes qui tentaient de filmer un morceau de leur set. Ils nous présentaient plusieurs titres de leur nouvel album, Baby Comet, à l'univers musical plus riche que leurs précédentes releases profondément ancrées dans le screamo. Il y a plus de chant, plus de mélodies, plus d'idées dans leurs compos. Les ukrainiens ont sacrément bien défendus leurs morceaux, les jouant quasi sans interruption sauf celle "de rigueur" pour se présenter et dire qu'ils ont du merch, C'était assez captivant, mais assez frustrant aussi car on pouvait avoir l'impression que l'espace du chanteur était SON espace, et pourtant il nous encourageait à nous approcher d'eux... Mais au final, on a tou-te-s été conquis-es par leur prestation puissante, rapide et furieuse, à l'image de beaucoup de groupes d'emo de l'Europe de l'Est, une scène qui prend tout son sens vu le climat social dans les pays post-soviétiques.



C'est LOVE/LUST qui allait leur succéder, pour lancer la partie black metal de la soirée. Ils viennent d'Allemagne, et incarnent ce renouveau de la scène RABM, soit "Red and Anarchist Black Metal", et qui connaît un regain d'activité depuis quelques années, et en réaction à la montée en flèche des populismes et du fascisme dans le metal. De plus en plus de métalleux.euses politisent leur musique à gauche, où se revendiquent comme tel, pour bien faire la distinction avec ce gros pan de la scène black metal où le nationalisme et les références guerrières, nazies, ou aux génocides sont monnaie courante. LOVE/LUST affiche clairement ses idéaux sur de chouettes stickers présents au merch, avec des logos prônant l'anarchie et l'égalité, ainsi qu'un évident "FUCK NSBM". Pendant trois-quarts d'heure, on a fait face à un bloc monolithique d'un blackgaze écrasant, éthéré mais noir, soutenu par d'épaisses couches de fumée, sans pause et sans prise de paroles, et ce malgré quelques problèmes techniques qu'a rencontré l'un de leurs guitaristes. On entendait pas bien le chant, et c'est dommage car il fait partie intégrante de leur univers et joue beaucoup dans la puissance de leur musique.



Ce fût une parfaite entrée en matière pour le clou du spectacle : les canadien-ne-s de Respire. Venu-e-s de Toronto, Respire joue ce que j'ai coutume d'appeler "une interprétation black metal d'un thème pour un film de Hayao Miyazaki". C'est très orchestral, profondément cimématographique, avec une grande sensibilité. Mais ils s'inspirent également de pointures de l'indie-rock, tels que Broken Social Scene ou American Football, du post-rock de Yndi Halda, ou du screamo de City Of Caterpillar. Ce melting-pot d'iinfluences forment une entité magnifique grâce à ces musicien-ne-s qui maîtrisent parfaitement leur sujet, qui éblouissent aussi bien les emopunx que les auditeurs de black metal depuis la sortie de leur premier album, Gravity & Grace. Iels venaient présenter à Montreuil les morceaux de leur 2ème album alors fraîchement sorti, Dénouement, composé dans la douleur et le tourment, tournant autour de l'addiction, de la dépression, de la solitude.

Des sujets très sensibles, exprimés avec passion dans leur musique, ce qu'on a clairement ressenti lors de leur prestation pleine de bienveillance et de chaleur humaine, comme en dehors : les personnes qui constituent Respire sont toutes très accessibles et n'hésitent pas à partager du temps avec les personnes venues les voir jouer. C'est chouette d'avoir ce rapport humain quelque peu naturel, de faire sauter ces barrières "spectateur.trice/artiste" encore trop souvent posées. Et sans grande surprise, on a passé un très bon moment durant leur set, où leur musique (se) vit plus encore que sur disque, aussi bien pour le groupe que pour nous, en l'écoutant au casque. Et pour l'occasion de leur tournée européenne, un trompettiste s'est joint à elleux, ce qui rendait ce live d'autant plus atypique.



Ce genre de concert est précieux. Il remet en question notre rapport à la musique, le sens qu'on lui donne. On s'y sentait bien, on pouvait très facilement s'y sentir safe. Il en faudrait tout le temps, en fait. Des soirées où il n'est pas juste question de jouer de la musique, mais de la vivre intensément. Ce sentiment-là, je l'ai souvent aux concerts qu'organisent El Mariachi. Vivement le prochain. Et vive La Comédia !

mardi 3 juillet 2018

The Flying Worker! : skramz en ceinture blanche, lutte des classes en ceinture noire.



Quand on pense au screamo français, on pense tout de suite aux mêmes noms, instinctivement : Daïtro, Amanda Woodward, un peu Belle Epoque, curieusement Gantz alors que ça tient plus du post-metal... Des groupes qui ont été influents bien au-delà des caves du terroir : des USA au Japon, ces quelques groupes ont été déterminants sur l'évolution de la scène. Mais il y a eu d'autres groupes, tout aussi importants, qui sont malheureusement soit tombés dans l'oubli, soit n'ont pas eu la même exposition sur les internets, voire sur la scène elle-même. Beh ouais, en vrai, à part les personnes qui suivaient assidûment le roster Stonehenge Records, les forums genre Awesomeboard ou Warmzine (Emo France aussi un peu), où celleux qui n'avaient pas peur d'aller voir régulièrement des concerts de punk hardcore estampillé "emo" dans des caves il y a 15-18 ans, qui saura parler instinctivement de The Flying Worker! ? Ah bah, peut-être ces emo nerds qui ressuscitent le temps d'un article des groupes oubliés, parfois ne dépassant pas une année d'activité, dont tout le monde avait oublié l'existence... Et ça tombe bien, j'en suis à moitié : J'aurais pas été capable de citer instinctivement The Flying Worker! avant de m'y replonger ces derniers jours et d'écrire ce papier. Mais je suis "le dictionnaire de l'emo", et parler de ces noms tombés dans l'oubli et vous donner une chance de ne pas passer à côté, c'est l'une de mes missions à la base ;) !

The Flying Worker! venait de Rennes, ont été actifs entre 2002 et 2004, et ont sorti 2 splits (un avec The Death Of Anna Karina et un autre avec Seven Feet Four), un 7" et une démo, à peu près la moyenne d'un groupe de screamo en termes de releases, quoi. Mais ils avaient un petit truc en plus par rapport à leurs camarades de scène, je pense. Sans surprise, ça piochait allègrement chez Orchid et Ampere, mais j'ai l'impression que le courant sasscore (tu peux retracer l'histoire de ce sous-genre par ici, mais grosso modo ça correspond à la scène Blood Brothers / An Albatross / Daughters) qui grandissait en parallèle aux USA) les ont aussi un petit peu influencé. Sur les morceaux du self-titled 7" notamment, avec ce synthé assez pesant mais dansant en même temps, qui ponctue les morceaux du disque, en n'enlevant rien de la sève emoviolence de leurs morceaux...

Je me souviens avoir écouté ce groupe il y a pas mal de temps et avoir vite abandonné car je trouvais que le synthé gâchait tout : grave erreur. J'étais un peu trop puriste de la formation classique d'un groupe de punk. Il y a peu de temps, je me suis pris-e d'amour pour The Book Of Dead Names (plus ou moins la suite de Song Of Zarathustra), qui joue aussi de ce screamo sassy sur les bords avec le même genre de claviers, ça m'a préparé-e à ma re-découverte de The Flying Worker!, j'ai vachement plus accroché que la première fois où je suis tombé sur leurs morceaux... Les rennais me font pas mal penser aux américains, avec un tempo plus rapide, une atmosphère plus violente encore, proche de la scène screamo d'Amherst comme je disais plus haut, avec en plus cette fibre politique radicale que partageaient à la même époque des groupes du même niveau en termes d'exposition sur la scène comme Hyacinth, Farewell... J'y retrouve en tout cas la même fougue musicale, la même hargne, le même côté "déter" dans les textes. Et c'est bieeen bien cool. Et comme c'est des goths certifiés, ils ont repris "The Truth" de New Order sur le S/T 7".

Petit point #hype (ou paparazzi, à vous de voir) : dans ce groupe, il y avait Hugues Pzzl à la batterie, qui officiait chez les merveilleux 12XU, les non moins excellents mais plus vénères Baron Noir ("RIEN N'EST VRAI, TOUT EST POSSIBLE !"), la méga-masse noire de type "patate cloutée dans la tronche" nommée Veuve S.S (d'ailleurs, même si je sais que y'a rien d'ambigu, qui pour m'expliquer ce nom un peu chelou ?), qui fait toujours des illustrations et du design, et qui aujourd'hui joue dans Dewaere, et tient Nosun Media, une petite affaire de production de merch et de disques.

Lyricalement, comme je le laissais deviner plus haut, bah c'était pas mal axé "luttes des classes" et "casser sa montre" : pas le temps de niaiser, dans le bon sens du terme, sûrement pas pour encourager la productivité des employé-e-s, mais plutôt leur dextérité à tout niquer. Mais y'avait aussi un peu de résignation par rapport à la vie et ce qu'elle nous apporte dès la naissance, ce à quoi elle nous pré-destine tou-te-s. Mais c'était pas pour basculer dans un nihilisme malaisant, mais plutôt pour faire grossir la rage qui ressort de textes comme la géniale "The working class goes to heaven" :


- "Clock-cop clock-cop, the cop in the clock still knocks at my last dream but I won't be late at sleep one more time.
Your tomorrow will not kill my today now, not anymore.

I am flying, I am flying over me, a god is dancing in me."





Je suis vraiment désolé-e, mais j'ai uploadé la vidéo sans faire attention à l'ordre des morceaux... En fait, c'est pas dans l'ordre chronologique. Mais c'est pas très grave en soi, non ?

J'espère vous avoir permis-e de vous prendre une bonne claque avec ces morceaux qui sortent un peu de l'ordinaire, dans le screamo. La musique de ce groupe continue d'avoir de l'impact aujourd'hui : c'est notamment l'une des principales influences de The Ultimate Screamo Band. Ces morceaux n'ont pas pris une ride, et d'autant plus maintenant que les sonorités synthétiques font leur retour dans le punk hardcore. Tu auras du mal à trouver ce disque autrement que sur Discogs aujourd'hui, mais si tu veux vendre le tien, je suis client-e.