lundi 13 juin 2016

Contre vents, marées et lovés, Chaviré garde le cap.


C'est impossible de trouver une bonne photo du groupe sur Internet, ne serait-ce qu'une photo d'un live, mais ce genre de groupe s'apprécie plus volontiers en scandant les paroles avec lui qu'en le prenant en photo pour alimenter son compte Instagram. Sur le front depuis 2015, avec déjà un concert à l'open stage du Fluff Fest à leur actif, les jeunes révoltés de Chaviré secouent le punk français en se nourrissant de screamo, pour lui redonner les lettres de noblesse qu'il a perdu sur notre scène après la disparition de groupes comme Aghast, Belle Epoque, Hyacinth ou encore Amanda Woodward. Et ça tombe bien, les combats sont de plus en plus nombreux à mener pour ces messieurs de la dite génération Y, qui subit de plein fouet la main-mise et la censure de plus en plus forte de notre gouvernement actuel sur nos contestations et nos revendications, quand il n'est pas question de déni total de démocratie. Allô, la tyrannie ? Ouais, à ce qu'il paraît tu fais des tiennes ? Coquine va, bon j'te laisse j'suis en interview, fais gaffe à toi, les grévistes lâchent rien, bisous ma puce, tchao !"

Parce que je suis de plus en plus attaché et concerné par les valeurs et les idées que défendent les nouveaux pirates du skramz, j'ai choisi de leur poser quelques questions pour découvrir un peu plus qui ils sont en tant que citoyens, pourquoi font-ils du punk, et le sens qu'ils accordent à leur combat.

- Ça fait maintenant un an que le groupe existe, et pendant ce laps de temps, le monde ne s'est évidemment pas du tout arrangé. Ce chaos, ça donne encore plus de sens à l'idée de faire du screamo de votre trempe en 2016. Y'a des sujets en particulier qui vous débectent plus qu'autre chose aujourd'hui ?

On a commencé à jouer ensemble il y a deux ans et on joue depuis un an et demi maintenant, on a passé un bon moment dans une salle de répète à essayer d'articuler le fait de jouer du punk hardcore avec la façon dont nous avions envie de le faire et d'une manière qu'on avait jusque là pas eu l'occasion d'expérimenter. On a un peu traîné à répondre à cette interview mais on aura gagné entre temps le bénéfice de l'actualité, ce que l'on voit se jouer dans les rues des différentes villes de France ces derniers mois - que ce soit Paris, Nantes, Rennes... - ce n'est pas une mobilisation contre la réforme du code du travail (tout le monde sait qu'il n'y a rien à sauver là-dedans) mais bien le ras-le-bol d'un monde qui décline... A peu de choses près, nous parlons des mêmes choses avec Chaviré.

- J'ai l'impression que de nos jours, nos luttes sont vaines. Trop peu de gens osent réellement se lever : ils sont freinés par la peur, ou bien pris de lâcheté ou de flemme, un peu de tout ça. Les gens se complaisent dans l'état d'urgence, ça ne les gênent plus de vivre dans des régimes liberticides. Et quand des gamin.e.s, des ouvrier.e.s, essaient de semer le trouble pour matérialiser leur colère, on les range dans la catégorie "délinquant.e.s". On laisse passer des lois votées tard la nuit par une minorité de personnes sans que personne ne s'inquiète du statut de la démocratie. Quand je vois se dérouler des manifestations , ça me fait plus penser à des fêtes de quartier bien orchestrées par les autorités, ça n'aboutit à plus grand chose. C'est quoi votre point de vue par rapport à ça ? On peut encore rêver du grand soir à notre époque ?

Nous partageons ces constats sur la difficulté à faire sauter la chape de plomb qui nous étouffe et renverser la vapeur, la défaite dans les luttes politiques nous encercle un peu de partout et c'est dur de produire des choses collectivement quand on ne se souvient même plus du goût de la victoire... Nous sommes de ceux qui pensent qu'il faut essayer de conjuguer comme nous le pouvons et avec les moyens dont nous disposons des formes de luttes collectives (pas juste d'aller défiler lors de la parade de la militance, on est bien d'accord) et des moments qui font qu'on réussit à sortir nos vies du merdique qui les entoure, trouver des zones de confort individuelles et collectives pour y voir un peu plus clair que dans la noirceur générale. Selon nous ça passe autant par le fait de commencer à organiser des concerts, que d'ouvrir un squat avec des ami.e.s, que d'aller kicker une banque pendant une mobilisation contre un projet de loi merdique, les portes d'entrées sont multiples et les possibilités sans fin, là encore les dernières semaines en sont une preuve irréfutable.

- On en a parlé déjà auparavant, mais j'aimerais bien revenir dessus car c'est de mon point de vue important à rappeler. Les textes de la démo paraissent à première vue relativement simples et explicites, mais leur sens va souvent à l'inverse. Ça causait un tel mindfuck dans votre auditoire que vous avez décidé de distribuer vos paroles dans de petits dépliants gratuits pendant vos lives, pour clarifier un peu le message de chaque chanson. Du coup, ça suscite un regain d'intérêt pour ces paroles. Vous les aviez anticipées ces interprétations diverses qui allaient être tirées des textes ?

A vrai dire, on distribue les paroles depuis le début du groupe, c'était un truc qui faisait sens pour nous, histoire d'y voir un peu plus clair dans les quelques bribes hurlées qu'on peut saisir lors d'un concert. C'était aussi l'occasion de rappeler que pour nous, les mots ont un sens et qu'ils ne sont pas là de manière purement décorative, pour "faire joli". Nous n'avons rien anticipé en commençant les concerts, mais on s'attendait à ce que les paroles fassent sens différemment d'une personne à l'autre. Les textes sont juste là pour éclaircir la façon que l'on a de les voir, libre à chacun.e d'en faire ce qu'il ou elle en veut, d'y mettre un autre sens, c'est aussi ça qui est cool avec les mots. Quant aux explications qui vont avec les textes, c'est pour nous l'occasion de lutter contre l'idée que de parler de politique reviendrait à prêcher des converti.e.s, c'est l'occasion de se redire qu'on n'est pas tou.te.s d'accord, que le punk n'est pas une opinion politique uniforme et que c'est avec nos divergences qu'on doit essayer de composer.

- Votre premier LP est sorti chez Stonehenge Records, soit l'un des labels qui a importé la scène emo hardcore en France. Ça s'est passé comment, c'était du démarchage ou bien Christophe vous a repéré ?

Sortir un disque tient parfois à peu de choses, quelques ami.e.s en commun, des goûts partagés et une préférence pour l'anarcho punk plutôt que le skramz !

- Elyas, depuis un certain temps, j'ai envie de te parler de ce qui va suivre, je me souviens que t'avais abordé le sujet avec Till de Guerilla Poubelle après le concert que vous avez donné avec Coupure et Cruise On The Styx à Paris l'été dernier. Le texte de "Jeune À En Crever" fait des tourbillons dans ma tête actuellement. J'ai 23 ans, et j'ai l'impression que tout ce temps est passé injustement trop vite, surtout les 3 dernières années en fait. Je sais que ton point de vue, sur ce texte, c'est qu'il ne faut pas avoir peur de vieillir car ce n'est pas un fatal synonyme de perte de convictions et de vitalité. Mais hey, que faire face à la fatalité physique et le matraquage médiatique de campagnes de pub avec des jeunes de 20 piges maximum pour te vendre leurs sappes, leur parfum et leur bouffe, qui te lavent le cerveau à coups de "être jeune c'est trop cool, sois jeune, habille-toi jeune, mange jeune, fais des trucs de jeune, on te paiera tes trucs de jeune" ?

Le monde tel qu'on le connait, avec ces allures de catastrophe, a réussi à faire peser sur toutes nos têtes le poids de l'ordre qu'il fallait accepter de manière non-négociable. C'est déjà une première chose d'en avoir conscience, des provocateurs des années 60 disaient à juste titre que "ceux qui veulent dépasser, dans tous ses aspects, l'ancien ordre établi ne peuvent s'attacher au désordre du présent" et c'est sûrement la partie la plus difficile. Comment dépasse-t-on les valeurs que ce monde a érigé en piliers (qu'elles soient la jeunesse, la réussite individuelle à tout prix, ou toutes les autres) ? Ce sentiment de crever d'ennui dans des vies que nous ne voulons pas dont tu parles, on le connait tous et toutes, à traîner nos carcasses en attendant mieux... Mais ces dernières semaines sont une preuve qu'on peut lutter contre la fatalité de la survie dans ce monde de merde, continuons le début et commençons à nous retrouver ; il nous reste un monde à abattre.

- Je sais que certains d'entre vous jouaient auparavant dans Homesick, une sorte de Lifetime local qui balançaient des ondes plus positives, et je garde d'ailleurs un bon souvenir du concert à Paris en 2014 avec Bangers, Woahnows et CID. Pourquoi avoir choisi de retourner votre veste (à patchs) ? Un besoin plus fort d'expulser le négatif ?

Nous ne pensons pas que c'est un retournement de veste. Musicalement c'est différent, c'est sûr, et le truc c'est qu'avec les 5 membres d'Homesick, on s'est construit, ensemble, autour du hardcore mélo, avec des trucs comme Lifetime notamment ouais. À côté de ça on avait l'envie depuis un petit moment de faire un groupe screamo, emo à la française, et cette envie a pu se concrétiser. Ce groupe a ouvert une brèche, et a pu faire ressortir, d'une autre manière quelle celle de Homesick, notre rage, nos problèmes, nos inquiétudes, ce que tu veux. Nous serions en train de mentir si nous disions que nous avons été hermétiques aux codes apportés par le screamo. Mais dans le propos, Chaviré tient le même discours que tous nos groupes précédents réunis même si il y a un ton particulier qui y est apporté et une tentative de rendre notre fonctionnement un peu plus "transparent". Nous ne pensons pas que cela relève d'un "surplus de négatif" à expulser, nos propos sont plutôt optimistes sur le long terme même si c'est toujours délicat de ne pas être blasé par le monde de merde qui colle à nos vies.

- "Si c'est ça la racaille", pour moi, c'est le "Ultramort" de 2016. Un texte violent, osé, mais nécessaire. Aujourd'hui, cracher sur la marseillaise, c'est presque se ranger aux côtés de Daesh pour l'opinion générale, et je me fais régulièrement engueuler pour ça par ma grande sœur. Alors que c'est quand même un hymne sanglant, une apologie du meurtre et de la haine, peu importe ce qu'on peut dire dessus. Y'a une volonté de marquer les mœurs, même à toute petite échelle, avec vos compos ?

Il y a avec Chaviré une volonté assez affirmée de témoigner des questionnements qui nous traversent, d'ouvrir comme nous le pouvons et avec nos moyens des discussions, c'est pas une histoire de buzz ou de provoc pour marquer les esprits, ces trucs c'est bon pour faire des likes sur Facebook ou finir dans Noisey, on a mieux à faire. Mais si ça a l'air si tranché, c'est aussi face à l'état des choses qui à l'air si solide. Effectivement on préfère prendre le contre-pied du discours dominant et de l'ambiance générale qui fête le repli individuel et le chacun pour soi. On ne fait pas la course au "qui a raison et qui a tort", on fait pas la chasse aux sorcières ou aux plus intègres, mais si ça peut servir au débat général et que c'est une clé contre la résignation pour des personnes alors c'est déjà une petite victoire.




- D'ailleurs, vous faites quoi en dehors de Chaviré ?

On essaye de garder le maximum de temps libre pour vaquer à nos occupations, s'extraire le plus possible du monde du travail et de ses employeurs. Dit comme ça ça peut sonner cliché, évident ou utopiste. Mais nous pensons qu'il est possible de dire que nous avons choisi volontairement des tafs qui nous "autorisent" à faire d'autres choses à côté. Étudiant salarié à mi-temps, intermittent du spectacle, petits boulots... C'est un plaisir d'avoir du temps. Pour soi, pour ses proches, pour de nouvelles rencontres, de nouvelles expériences. Monter un autre groupe juste pour le plaisir de trouver un concept ou bien pour jouer collectivement de la musique, lire, étudier, dormir, "bénévoler", s'ennuyer, organiser des concerts, découper du carton...



- Quand je lis les textes, quand je vois les annotations dans le livret de la démo, tout ce merch DIY, cette implication forte dans le message que vous délivrez, quand j'écoute "La Commune"... Belle Époque revient fortement à l'esprit. C'est l'influence principale du groupe ?

Oui, et puis le choix de notre nom, qui est sans doute un clin d’œil à ce groupe... C'est difficile de parler "d'influence principale" parce que notre inspiration n'est pas unilatérale, mais ce groupe a, pour nous tous, été important à un moment donné dans nos vies. Mais comme on l'a aussi dit un peu plus tôt, nos influences sont diverses et modèlent autant le son que les paroles, autant que Belle Epoque on peut considérer que le Revolution Summer de DC, la rage de Lunatic ou un fanzine comme Plus Que Des Mots ont été des sources d'inspiration sur lesquelles s'appuyer.

- Vous comptez être de ces groupes qui vont splitter après la démo et un EP avec un groupe de potes, où bien vous comptez être un peu plus qu'une simple étoile parmi tant d'autres ?

Moins que d'être une simple étoile nous préférons croire qu'il nous reste encore beaucoup à faire avec tant d'autres. On a encore des choses à dire, on a encore à des choses faire et à partager. Tout ça nous plaît, et puisque les paillettes ne font pas encore de nous une génération heureuse, on fait avec nos grises pensées, on essaie de les dépasser, tou.te.s fatigué.e.s de cultiver la distance. Pour le reste, pas de plan de carrière, on a toujours pas de réponse, on est de ceux et celles qui préfèrent avancer à la dérive.

- Le champ lexical nautique est hyper présent dans le screamo français. Y'a très souvent des références visuelles ou lyricales aux bateaux, à la piraterie, au naufrage... C'est une sorte de tradition millénaire ? Est-ce qu il y a un colloque de jeunes loups de mer et de vieux briscards de la piraterie dans les caves ?

"Depuis les chaînes et les bateaux je rame, t'inquiète aucune marque dans le dos man, j'les ai dans le crâne." Booba - Le bitume avec une plume.

- C'est quoi le bonheur en France aujourd'hui ?






Chaviré se prépare actuellement à tourner dans l'Europe de l'Est, et jouera à Vienne le 25 Juillet, un jour après le Fluff Fest, avec Dawn Ray'd (black metal anarchiste ex-We Came Out Like Tigers) et Lost Boys (sublime screamo allemand). Et ils passeront bien évidemment le 14 Juillet sur scène, à la Salle Gueule (Marseille), avec Canine. Voici le récapitulatif des dates, dont celles ou le groupe a toujours besoin d'aide.

14.07 – Marseille (FR)
15.07 – Cesena (IT)
16.07 – Mantova (IT)
17.07 – HELP ! (SLO / CRO)
18.07 – Belgrade (SR)
19.07 – Kumanovo (MKD)
21.07 – Istanbul (TUR)
22.07 – HELP ! (BRG)
23.07 – HELP ! (ROM)
24.07 – HELP ! (HUN)
25.07 – Vienna (AUT)
26.07 – Munich (DE)
27.07 – TBA (FR)

Vous pouvez retrouver les manifestes de Chaviré et les punchlines les plus sensées de PNL via leur page Tumblr, et les y contacter pour les faire jouer dans un squat, un bar, un salon, n'importe quoi.

"On sort de la merde, on sent même plus l'odeur, j'suis tombé et je me relève, ouais mais à quelle hauteur ?".




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