samedi 16 janvier 2016

Fall Of Messiah préfère les fests hardcore à la fête du village.



Quelque part au Nord de la France, dans un modeste village de 1700 habitants nommé Saint-Jans-Cappel, des garçons combattent l'ennui dans une jolie province proche de la Belgique, l'une des terres fertiles du hardcore en Europe, en plus d'être celle des frites et des djihadistes. Mais pour faire quelque chose de leur vie en ces lieux où les perspectives de carrière se résument souvent en des patates, ils se sont décidés à faire autre chose que de cuisiner dans un camtard ou manier la kalachnikov. Voici Fall Of Messiah, un groupe français de plus en plus populaire outre-Manche et même dans la scène screamo américaine, mais quasi-inconnu des français. Et c'est à se demander pourquoi.

Sont-ils arrivés trop tard ou trop tôt dans la scène hardcore française ? Enfin, hardcore, c'est un petit terme finalement pour catégoriser leur univers, même si c'est dans ce milieu que tu les verras jouer, traîner, et s'en foutre que la France ne les suive pas. Leurs morceaux sont globalement nourris de certains éléments de ce style, bien que concrètement, Fall Of Messiah va au-delà du noyau dur pour flirter allègrement avec le math-rock, entre autres. Ces messieurs sont notamment allé tricoter au Ieperfest 2015, la où est plutôt de rigueur de mouliner. CQFD. Mais mine de rien, ça fait déjà 8 ans que les mecs tissent leur toile sans faire dans la dentelle. Les premières piqûres du groupe remontent à 2008, avec l'EP How to Build a Chariot, qui montrait déjà un univers musical qui tricotait sec, un peu trop screamo pour être mathcore, un peu trop chaotique pour être du simple math-rock, et ça flirtait même avec un metalcore "meh". Ils ne savaient pas trop ou ils allaient, y'a quelques pains par-ci par-là, mais c'était la fougue et l'insouciance de la jeunesse, l'envie d'en découdre à toute berzingue, et de s'éclater entre potes. Le complètement débile « I lost my hammer between the whales and the elefant's cage, in manchester's zoo » résume à la perfection ce qui constitue le disque et le cerveau des gars à cette époque, et ce riff à 4:14 condamne pour l'éternité ce morceau à se faire catégoriser de Nintendocore, désolé les petits potes. Mais leur premier album, How to Conceive a Bridge Between Circles, sorti 3 ans plus tard, a violemment remis le fil dans le chas, et montre un groupe bien plus mature, maîtrisant beaucoup mieux ses influences et ses intentions. Ce disque est passé complètement inaperçu et le reste toujours depuis dans notre scène, alors que les groupes anglais et américains qui croisent le chemin des français se l'arrachent. Il faut dire que cette galette est fortement fournie, avec un contenu qui peut parfois nous filer une overdose tant il est conséquent sur l'ensemble des titres. Pour vous donner un ordre d'idées, il faut s'imaginer une fusion entre le math-rock anglais à la Meet Me in St. Louis (grande influence du quartet), Native, le chaotic hardcore et le early La Dispute. Et personnellement, ce fut à la première écoute, une claque. Étant fan de Somewhere At The Bottom Of The River Between Vega And Altair, l'incroyable premier album de la bande de Vancouver, j'avais trouvé son équivalent français, et j'ai eu une certaine fierté de savoir que chez nous, des mecs pouvaient interpréter avec autant de talent ce genre de musique aussi complexe et pointu que sensible et introverti. On n'y est plus autant bombardé de collages musicaux random rendant plus ou moins bien, mais face à quelque chose d'intelligemment déconstruit, un algorithme qui aux premiers abords peut être casse-tête à déchiffrer, surtout à cause de cette certaine linéarité dans le cri, mais adouci et résolu par des élans mélodiques et cathartiques qui donnent envie d'y rester, de comprendre ce qui se passe, puis finir par avoir des feels la-dessus. En revanche, l'histoire ne nous a pas dit si le quintet jouait toujours à Super Mario durant la composition de l'album.

Mais désormais, fini les mathématiques. Fall Of Messiah est devenu une entité plus contemplative, moins torturée. L'éther a pris le dessus sur l'algèbre. How To See Beyond Fields, sorti en Mars 2014, dévoile un visage nouveau, plus grave, plus rêveur. Le post-rock a quasi-complètement englouti leur math-rock entre défouloir et déconne, précisément inspiré par la vie qui les entoure dans leur petite province sage. On s'imagine alors propulsé dans ces contrées, et prendre une bouffée d'un air meilleur dans les coins de campagne qu'offre le canton de Bailleul, sur les arpèges qui se soulèvent au milieu de « La Résonance des Hangars », un titre qui ainsi évoque, en faisant le rapprochement avec le titre de l'EP, le vide des entrepôts à l'abandon que l'on trouve quelquefois dans le Nord de la France (et pour mon cas, dans ma banlieue ça marche aussi), témoin des fastes passés d'une industrie fertile, là ou un canton entier peut dépendre d'une simple usine, et où sa fermeture peut signer l'arrêt de mort de centaines de familles. Et l'on s'y imagine la vie qu'il y a eu, la sueur versée, les efforts délivrés quotidiennement, la terre cultivée, à flux tendu. Tout ceci se dessine dans la tête, la vie des gens qui vivent dans ces vieux pavillons, des grands-parents du village, de ce petit vieux qui erre dans la rue en allant chercher sa baguette et son journal. De ce silence tantôt paisible, tantôt pesant qui règne sur la ville. Et de ces rares jeunes qui se demandent quoi faire de ce restant de vie. Fall Of Messiah a trouvé la réponse : en faisant rêver, et en vivant ses rêves.




Their hands are speaking for them, forged by working the lands, tired of digging their own grave. "Chez eux, la misère de la vie leur a inculqué l'art du silence." - "Raynaud"



Mélanger screamo, post-rock et petit solo de trompette, y'a que les américains pour le faire proprement, mais avec "Raynaud", ils réussissent sans que ça tombe dans le saugrenu ou dans le registre « fête du village ». C'est le disque le plus chargé en émotions qu'a sorti le groupe jusque là, malgré le silence qui règne sur les compositions, hormis quelques rares mots hurlés comme le déchirant couplet de « Raynaud ». Il montre également la facette la plus dépouillée de l'univers musical des garçons, avec « Als ik mijn grond niet kan voeren, wie zal mijn kinderen voeden », un titre tout en délicatesse, accompagné par un piano joué sur un ton plutôt triste, et qui continue de nous accompagner sur « Att lägga sitt liv i träda », nous menant vers un contraste entre riffs saccadés et enjoués, et d'autres soundscapes plus dramatiques. l'EP se termine entre acoustique, harmonica et mélodies légères avec "A farmer's son", dans la douceur et la chaleur, comme pour finir le voyage au coin d'un feu dans une forêt locale un soir d'été. How To See Beyond Fields est ainsi bien différent de son prédécesseur, et a posé les bases du style vers lequel Fall Of Messiah s'épanouit désormais, et peaufine tranquillement. Et encore une fois dans la discrétion la plus totale, mais cette fois-ci épaulés par Holy Roar Records, I.Corrupt Records et Voice Of The Unheard, ils reviennent en ce début 2016 avec un nouvel EP 7 titres, Empty Colors, Et non, le niveau n'a toujours pas baissé, désolé pour toi si tu comptais également faire bouger les choses dans la scène post-rock inexistante de ton village paumé.





Le ton se durcit légèrement au milieu des riffs math-rock mélodieux, et même que ça blaste. Fall Of Messiah goes METOL ? Aucune raison, et c'est très bien comme ça. Les petits gars se font simplement plaisir, comme ils l'ont toujours fait. J'espère simplement que cette fois-ci, ce disque leur permettra de sortir du triste anonymat auquel ils font face en France, Empty Colors sort le 26 Février, il me tarde déjà de l'écouter, et le groupe jouera le 23 Janvier (à priori devant une quinzaine de personnes) à Montreuil, tout près de Paris ou ils joueront également le 26 Mars. Ils passeront également à Nancy le 22 Janvier, le 24 à Arras, le 29 Février à Lille, et le 14 Mai à Bordeaux.

Bisous.

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dimanche 10 janvier 2016

Cassus veut en découdre avec le monde moderne.


Putain, comment ais-je pu passer à côté d'eux en 2015 ? Le pire, c'est que je connaissais déjà auparavant, mais que je les ai totalement perdu de vue après leurs excellents morceaux du split avec le screamo chaotique espagnol de ¡Silencio, Ahora, Silencio!. Messieurs dames, voici pour vos jolies oreilles Cassus, screamo band from Norwich, UK. Et préparez-vous à recevoir un parpaing en béton armé en plein dans le cœur et dans le crâne, balancé en signe de révolte. C'est déchirant pardi.

Je te le disais plus haut, Cassus a déjà affûté ses armes au travers de 3 morceaux pointant déjà au sommet du skramz jeu, dans les cimes de la rage et de la violence émotionnelle et ses pulsions incontrôlables. Ses outils de guerre que sont leurs instruments (#jesuiscassus, tout ça tout ça), le groupe a commencé à les brandir en Juin 2012 au travers d'un split avec leurs compatriotes (au style relativement similaire mais aux vocaux proche de l'agonie sous acide) de I Don't Want To Know Why The Caged Bird Sings, et c'était déjà bouleversant, le côté plus raw de la production ajoutant au côté cru et décharné à vif de leur musique. Car l'univers sonore de Cassus, c'est même au-delà de la fleur de peau : la fleur a fané sous cette brume polluée, elle a été écrasée sous les semelles en titane de nos sociétés, ses codes et ses atmosphère rances, et elle brûle de toute la peine et la colère qui anime le quartet.

Leur premier album reprend toutes ces caractéristiques, et attise encore plus les flammes au travers d'une meilleure production, et d'un contenu musical plus varié. Son titre est la synthèse de tout ce que vivent et composent ces jeunes gens : This Is Dead Art; This Is Dead Time; But We May Still Live Yet. Un incroyable brûlot reprenant la virulence folle furieuse de Ampere, le mathy feeling si cher à la scène anglaise (on citera notamment les bien-nommés Maths, le math-screamo par excellence), les complaintes enrouées de Heart On My Sleeve, l'alchimie blackened skramz anarchiste de We Came Out Like Tigers, et même quelques couplets chantés d'une voix claire, quelquefois braillée à la limite de la justesse. Hey, quand on écoute du chant punk, c'est pas nécessairement pour sa justesse, pas vrai ?

Non seulement c'est musicalement d'une rare force, mais la recherche artistique et revendicatrice des paroles et des artworks vont de pair. Lorsque tu télécharges les .mp3 de l'album sur leur page bandcamp, tu obtiens également les 21 pages du booklet proposé avec le LP, contenant les paroles des morceaux, des essais d'écriture et de peinture, des collages punx, des prises de positions... Et t'en prends des claques, en lisant ce que dénonce les anglais : les illusions qu'on donne à bouffer aux adolescents qui se convertissent en suicides ("Tablecoth Welfare"), la course à la perfection et à l'image de soi ("Bubblegum Baby"), la consommation ayant cannibalisé le besoin et le désir ("Publicitaire"), quand la valeur matérielle a écrasé la valeur humaine ("Exchange Rates Are Exactly What They Used To Be")... AAAAAH mais c'est beaucoup trop réaliste, j'ai envie de descendre dans la rue et de brûler tout les panneaux de pub et tout ces conseillers bien-pensants de la finance, de l'éducation, de la politique, de la jeunesse. ALL PEOPLE ARE BASTARDS. 




"“Perfection” is our formaldehyde – “staying young” our denial of mortality: preserving image as static currency.  Fetishisation of youth/”beauty” is no fluke, but a Fantasy Trap: the reflexive attempt of a foredoomed system to delay its collapse. 

Ensnared, we wallow in imagined stasis: Obsessed with preserving life, we forget to ever live it, Perfectly functional objects for a purely functional world.  Flesh withers inside a candy casing.  Ignored time disappears in the blink of an eye. Having invested all in the superficial, there is no energy left for the internal – image becomes our only purpose." - "Bubblegum Baby"



Je pense en avoir assez dit. Cassus sera encore un de ces groupes au potentiel grandiose qui n'ira pas plus loin que les caves anglaises, au mieux européennes. Mais sa rage de vivre, elle, restera intacte, aussi longtemps que le quartet se produira en concert et sortira des disques, et aussi longtemps que ces témoignages sonores vivront, survivront au temps. Un temps dont il faudrait bien rapidement changer l'air, et qui passe aussi furtivement que les assauts saccadés de ce disque, dont j'espère que tu prendras le temps de saisir à pleines mains ces morceaux de (sur)vie pour en extraire le plus beau, en défaire le plus mal : les maux d'un monde qui les entoure, les inspire, et nous mange tout cru chaque jour qui passe.

Bisous.





English translation :

Damn, how could I miss them in 2015? The worst thing is that I already knew them before, but I've completely lost sight of them since their 3 excellent pieces of their split with the Spanish chaotic screamo band ¡Silencio, Ahora, Silencio!Ladies and gentlemen, here's for your pretty ears Cassus, a screamo band from Norwich, UK. And get ready to receive a cinderblock right in the heart and the head, swung in sign of revolt. Really, it's fucking crushing and heartbreaking.

I told you earlier, Cassus already sharpening their weapons through 3 pieces already pointing to the top of the skramz game in the tops of rage and emotional violence and uncontrollable impulses. These war tools of the band which are their instruments, the group began to brandish in June 2012 through a split with their fellows (in a relatively similar style but with voices close to an agony on acid) in I Don't Want To Know Why The Caged Bird Sings, and that was upsetting, the raw production adding to the gaunt side of their music. Because the sound universe of Cassus is beyond the skin-deep: The flower has faded in this polluted haze, she was crushed under the titanium soles of our societies, its codes and its rancid atmospheres, and she burns with all the pain and anger that animates the quartet.

Their first album includes all these features, and fanning the flames even more through a better production and a more varied music content. Its title is the synthesis of all that live and compose these young people : This Is Dead Art; This Is Dead Time; But We May Still Live Yet. An incredible rant mixing the raving madness of Ampere, the mathy feeling so dear to the English scene (remember the well-named band Maths, the quintessential UK screamo-math stuff), hoarsed laments of Heart On My Sleeve, the blackened anarchist skramz of We Came Out Like Tigers, and even some verses sung with a clear voice, sometimes bawled at the edge of accuracy. Hey, when you listen to a punk song, it's not necessarily for its accuracy in the singing, right?

There's a rare musical strength, but the artistic and claimant research of the lyrics and artworks are also significant and all go together. When you download the .mp3 files of the album on their Bandcamp page, you also get the 21-pages booklet included with the LP, containing lyric, writing and painting essays, punk collages, equity positions... And you take slaps, reading what denounces the English guys: the illusions we give to eat to adolescents which converts to suicides ("Tablecoth Welfare"), the race for perfection and perfect self-image ("Bubblegum Baby"), as consumption cannibalized the need and desire ("Advertising"), when the material value has crushed human value ("Exchange Rates Are Exactly What They Used To Be")... AAAAAH it's way too much realistic, I want to down to the streets and burn all advertising panels and all these gooders advisers of finance, education, politics, youth, ALL PEOPLE ARE BASTARDS.




"“Perfection” is our formaldehyde – “staying young” our denial of mortality: preserving image as static currency.  Fetishisation of youth/”beauty” is no fluke, but a Fantasy Trap: the reflexive attempt of a foredoomed system to delay its collapse. 

Ensnared, we wallow in imagined stasis: Obsessed with preserving life, we forget to ever live it, Perfectly functional objects for a purely functional world.  Flesh withers inside a candy casing.  Ignored time disappears in the blink of an eye. Having invested all in the superficial, there is no energy left for the internal – image becomes our only purpose." - "Bubblegum Baby"



I think I've said enough. Cassus will still one of these bands with great potential that don't go further than the English cellars, at best European ones. But his rage to live will remain intact as long as the quartet will perform in concert and released records, and as long as these sound stories will live, and survive to the time. A time that should change his air very quickly, and who also goes stealthily as jerky assaults of this record, which I hope you will take time to grasp with both hands these pieces of life to extract the more beautiful of them, and discard the worst: the evils of the world around them, what inspire them, and what eat us raw with every passing day.

XOXO.