jeudi 22 juin 2017

"Ça sent la merde dans l'isoloir" : retour sur l'emocrust de rance.



● Cette année, on a encore dû faire façe à une vaste mascarade électorale: deux tours de manège plus vertigineux que jamais, se déroulant dans cette tour de la terreur qu'est le vieux système démocrasseux français. Un édifice brinquebalant, aux murs fissurés, pourris, qui continuent de parquer en son mal-sein des millions de personnes soumises au capital, à l'oligarchie, aux peurs, aux haines. Des personnes qu'on embobine, qu'on force à former l'affront républicain, pour absolument devoir contrer la verrue frontiste qui oui, en est une, mais qu'on peut combattre d'une manière bien moins républicaine. Ouais, je préfère appartenir à une génération ingouvernable que générer un gouvernement. Cette année, nous avons eu le choix entre un parfait roquet du capitalisme dans son état le plus sauvage, et la sorcière des bas-fonds du racisme rance, qui joue avec les colères et les peurs de la classe ouvrière, et fait fantasmer les nazillon.ne.s, les gudard.e.s et les eurosceptiques du continent. 

Mais il y avait un 3ème choix. Celui de l'insoumission. La vraie, pas celle proposée par un machiste opportuniste et arrogant. Mais s'insurger, en (f)rance, c'est forcément être un casseur - une casseuse, un.e « islamo-gauchiste, un.e utopiste ». Faire péter des vitres de grandes enseignes riches à millions, les mêmes qui oppressent leurs employé.e.s et qui réclament à Macron de pouvoir les précariser encore plus, entretenir un rapport de force avec une police de plus en plus violente et légitimée dans ses actes… C'est vu comme un extrême, comme une honte, un obstacle à la sécurité des français. Permettez-moi de placer un petit "lol" à ces suppositions lâches.

Ce climat nauséabond, qui pue la gazeuse et la corruption, pas grand monde se charge de cracher dessus, chez nous, à part via de faibles actions citoyennes encadrées par ces associations lâches sous la complicité et la domination de l'autorité, ou via des chansonnettes disponibles dans le supermarché le plus proche de chez toi. Heureusement, un petit miracle commence à se produire. Vous avez en têtes les textes du screamo français des débuts de Stonehenge Records à la fin de Belle Epoque ? De ces formidables idées et engagements pour changer la politique, les sociétés, abolir le sexisme, le racisme ? Eh bien, lorsque Belle Epoque a disparu, notre scène emo n'a pas vraiment repris le flambeau de l'insurrection et de l'altermondialisme, laissant la flamme se tarir. Il a fallu attendre 8 à 10 ans plus tard pour qu'entre autres Jarod et Chaviré se charge de nourrir le feu. Et en parallèle, une relève à Farewell, Bökanövsky, Who Needs Maps... S'est formée. Oui, à ce petit microcosme encore un peu plus underground et anarchiste que le screamo, il semblerait que certains veulent lui redonner grâce, à un moment où c'est plus essentiel que jamais : messieurs dames, veuillez accueillir sur les cendres du système : Potence, Jeanne et Geraniüm.

Ce qui est chouette avec ces groupes, c'est qu'on y retrouve des "anciens" comme des kids. Et leurs compositions, forcément marquées par l'air du temps, restent également imprégnées de luttes et de combats menés depuis une vingtaine d'années dans la scène emo/hardcore française, Ce qui rend l'ensemble encore plus percutant, nécessaire, et alerte. Chez Potence, c'est ni plus ni moins qu'Aurélien Daïtro au chant. Leur truc, c'est de balancer un crust punk virulent, frontal, avec du grain, de la colère, marqué par un ton triste, des interludes instrumentales et un chant plaintif et écorché qui évoque fortement le screamo, et forcément Daïtro. Potence n'a pas vraiment envie de se marrer, encore moins de vieillir. L'Amour Au Temps De La Peste, l'album sorti sur Bandcamp en Mars dernier, et disponible depuis Mai sur un disque d’un chouette blanc naturel avec deux screenprinted covers au choix, existe déjà depuis l'an dernier... Vous vous rappelez de ma double malchance au Miss The Stars Fest 2016 : les avoir loupés et avoir loupé leur tape ? Bah voilà. L'album était disponible sur cette belle cassette rouge, ainsi que leur merch trop cool, et je suis totalement passé à côté de tout ça. Et ce disque, il fout une mandale énorme, objectivement. Il aurait pu être composé par des gens de mon âge révolté.e.s par ce que le vieux monde leur laisse à subir et à déconstruire, mais il s'agit ici de nos aînés (pas de grand-chose ceci dit, il est vrai), qui ont gardé les idéaux de leur jeunesse. Car dans nos sociétés, après 30 ans, l'éveil et la conscience prennent trop vite un coup dans la tronche...

L'Amour Au Temps De La Peste nous laisse rarement le temps de souffler. Il frappe fort, sec, même si le ton général est plutôt cool avec nos cœurs, il l'est beaucoup moins avec les codes établis, le confort moderne et nos choix de vies, un ensemble dans lequel on est encore beaucoup trop à se complaire. Il questionne sur les choix politiques de nos con-citoyen.ne.s, il te rappelle que depuis fort longtemps, « Ton dieu ne t’entend pas, ton dieu est mort », et il fait le constat de notre propre échec, de notre propre lâcheté : « La stratégie du pire porte enfin ses fruits. Nous voilà sidérés par la violence des monstres que nous avons engendrés. A combattre des monstres, on en devient un soi-même… ». Pendant une bonne demi-heure, on se prend un flot continu de rage, une colère viscérale s'exprimant sans fléchir au travers d'un crust punk qui prend de la densité dans des rythmes catchy et cogneurs, des interludes tendues mais aériennes, plutôt que dans des éternels toukatougouda lancés à toute vitesse, qui sont bien évidemment présents, mais subtilement dosés, pour que les morceaux gagnent en originalité, en intensité, que l'auditeur trouve une accroche, une "beauté" dans ce chaos, dans ces brûlots situationnistes, qu'il soit réceptif aux passages scandés plutôt qu'hurlés. C'est là toute la puissance de ce fameux "emo crust" dans lequel Potence s'illustre à merveille : arriver à glisser une sensibilité accrue, une décharge émotionnelle forte, dans un climat très noir, gras, et sans compromis.



Geraniüm sait également y faire, dans ce registre. Mais eux, ils le font avec un peu plus de metal à l'intérieur, et depuis déjà pas mal de temps. Leur première release date de 2011, un split avec les crust metalleux de Human Compost. Je suis à chaque fois impressionné par leur album éponyme, leur "crust de salon" (le meilleur terme trouvé pour décrire avec ironie la scène neo-crust), un disque aussi sombre qu'entraînant et riche, qui a été pour moi l'un de mes premiers contacts avec le crust punk en général, et qui n'a d'abord pas été un coup de cœur, d'ailleurs... Mais les choses ont changé, et j'ai appris que le growl pouvait être utilisé dans d'autres circonstances que pour des démonstrations de force et de virilisme. Ainsi, après le split avec Finisterre et leur morceau coup-de-poing contre une attitude assez pesante dans le punx qui consiste à poser avec des t-shirts de groupes anarchistes, antifa, RABM... En agissant en totale opposition avec les valeurs de ceux-ci, ils reviennent partager une galette avec Link, avec deux morceaux, "Haters Hate" and "Murder Kings", où des influences black metal viennent largement ponctuer la noirceur et l'agressivité de leur musique... Est-ce parce que Thibault de Paramnesia et de Jeanne a rejoint le groupe à la basse ? Quoiqu’il en soit, Geraniüm prend encore de la masse et une dose de ténèbres en plus, en gardant un esprit frontal et virulent. Je ne les ai encore jamais vu, et il me tarde de le faire un jour...



Et puis il y a Jeanne. Cette surprise beaucoup trop underrated. Cette pépite cachée du screamo français, un groupe actif depuis 3 ans maintenant, qui flirte avec le crust et l'emoviolence. Ça sent fort le screamo US, le désespoir, les émotions hurlées la main dans le dos, sur le bout du fil, un fin de set écroulé au sol. Je pense pouvoir dire sans trop abuser que je suis fan de leur musique. C'est exactement ce qui me parle en ce moment, et c'est accessoirement un groupe du genre dans lequel j’aimerais gueuler (je prends vos candidatures :3). Jeanne ont sorti récemment un disque éponyme bluffant, dans la droite lignée de leur démo, avec un petit voile de secret qui le recouvre : ils ont choisi de ne pas partager les paroles du disque et de ne pas le sortir en physique, pour des raisons inhérentes au line-up qui a enregistré cet album. Et j'avoue que c'est vraiment frustrant... En fait, ils me rappellent un peu ce que faisait Ravin, mais en plus sombre encore. Cet enchaînement de mélodies poignantes et virulentes en même temps, ces riffs en clean et ces arpèges nous guidant avec tendresse et désarroi vers ces explosions rythmiques, ce chaos cathartique.... C'est brut, c'est spontané, c'est piqué à vif, bref c'est le skramz. Je pense que ce S/T va vraiment faire partie d'un de mes albums de l'année. Merci beaucoup les petits gars.



Cette petite scène me donne de l’espoir quant à la vigueur du feu du screamo en France. Que ce soit pour sa valeur émotionnelle, son engagement politique, ou juste l’envie d’en jouer avec force et passion, il prouve que ce que tente tous les groupes récents n’est en rien quelque chose de vain. Il faut tenir bon, il faut garder ce feu aussi nourri qu’il en a ainsi l’air.

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● This year, we had to face a vast electoral masquerade: two more rollercoasters, more dizzying than ever, taking place in this filthy tower of terror that is the old French democratic system. A cracking building, with rotten walls, which continue to jail millions of people, subjected to capital, oligarchy, fears and hatreds. People who are forced to form the "Front républicain" -republican (af)front-, to absolutely have to counter the frontist wart that yes, is definitely one, but that one can be fight in a much less republican way. Yeah, I'd rather belong to an ungovernable generation than generate a government. This year we had the choice between a perfect pug of capitalism in its wildest state, and the witch of the shallows of rancid racism, playing with the anger and fear of the working class, and making nazis, Eurosceptics and alt-right worshippers fantasizing.

But there was a 3rd choice:  insubordination. The real one, not that offered by that opportunistic and arrogant macho man called Jean Luc Mélenchon. But to rise up in france, is necessarily to be a rioter, an "islamo-leftist", an utopist. To smash the windows of big brand rich in millions -the same ones who oppress their employees and ask Emmanuel Macron to be able to make them even more precarious-, to maintain a balance of power with a police more and more violent and legitimized in its actions... This is seen as an extreme, as a shame, an obstacle to the security of the nation. Well, let me put a small "lol" to these loose assumptions.

Not enough people want to spit on this nauseous climate, which stinks of tear gas and corruption, except by means of weak citizen actions framed by these associations full of cowardice, under the complicity and domination of authority, or via songs available in the closest supermarket from you. Fortunately, a small miracle begins to occur. Remember the lyrics, essays, zines of french screamo, to the beginnings of Stonehenge Records until the end of Belle Epoque? Of these formidable ideas and commitments to change politics, societies, abolish sexism, racism? Well, when Belle Epoque disappeared, our emo scene didn't really pick up the torch of insurrection and altermondialist, letting the flame dry up. It took 8 to 10 years later for Jarod and Chaviré to feed the fire. And in parallel, a continuation of FarewellBökanövskyWho Needs Maps... has formed. Yes, to this little microcosm a bit more underground and anarchist than screamo, it seems that some want to give some fuel to a smothered fire, at a time when it's more essential than ever. Hey y'all, please welcome on the ashes of the system: PotenceJeanne and Geraniüm.

What's nice about these bands is that we find "elders" like kids inside. And their compositions, inevitably marked by the air of our time, also remain imbued with struggles and fights carried out over the past twenty years in the french emo / hardcore scene, which makes the whole thing even more powerful, necessary, and alert. It's Potence, it's Aurelien from Daïtro on the singing. Their trick is to swing a virulent, frontal crust punk, with grain, anger, marked by a sad tone, instrumental interludes and a flayed singing that strongly evokes strongly screamo, and obviously Daïtro... Potence don't really want to laugh, neither growing old. L'Amour Au Temps De La Peste, Their debut album released on Bandcamp last March, and available since May on natural white vinyl with two screenprinted covers available, already exists since last year... You remember my double bad luck at Miss The Stars Fest 2016: having missed them and missed their cool merch? Well, there you go. The album was available on this beautiful red cassette, as well as their merch, and I totally missed it all. And this record is objectively awesome. It could have been composed by people of my age, revolted by what the old world leave them to undergo and deconstruct, but it's our elders, who kept the ideals of their youth. For in our societies, after 30 years, the awakening and the consciousness take too quickly a blow in the face...

L'Amour Au Temps De La Peste rarely gives us time to take some breath. It strikes hard, dry, even if the general tone is rather cool with our hearts, it's much less kind with established codes, modern comfort and our choices of lives, a set in which one we still too much to bask in. He questions the political choices of each one of us, he reminds you that for a long time, « Your god doesn't hear you, your god is dead » (« Ton dieu ne t’entend pas, ton dieu est mort ») and he makes the observation of our own failure, Our own cowardice: « The strategy of the worst is finally bearing fruit. We are bewildered by the violence of the monsters we have engendered. To fight monsters, we become one ourself... » (« La stratégie du pire porte enfin ses fruits. Nous voilà sidérés par la violence des monstres que nous avons engendrés. A combattre des monstres, on en devient un soi-même… »). For a good half hour, a continuous flood of rage, a visceral anger expressing itself without deflection through a crust punk that takes density in catchy rhythms, tense but aerial interludes rather than in the classic toukatougoudas launched at full speed, which are obviously present, but subtly dosed, so those plans gain in originality, in intensity, and so that the listener cand find a hook, a "beauty" in this chaos, in these situationists ragers, whether it is receptive to passages sung rather than screamed. This is the power of this famous "emo crust" in which Potence is a perfect example: to slip an increased sensitivity, a strong emotional discharge, in a very dark and uncompromising climate.



Geraniüm also knows how to do it well. But they do it with a little more metal influenced inside, and since already quite a long time. Their first release dates back to 2011, a split with crust metalheads in Human Compost. I am always impressed by their eponymous album, their "crust de salon" (the french for "living-room crust", a.k.a the best term found to describe with irony the neo-crust scene), a record as dark and coaching and rich, One of my first contacts with the crust punk in general, and which at first wasn't a crush to me, to be honest... But things have changed, and I learned that growling could be used in other circumstances than for demonstrations of strength and virilism. Thus, after the split with Finisterre and their song against a rather annoying attitude in punk which consists of posing with anarchists, antifa, RABM band shirts... And acting in total opposition to the values of these bands, they are back to share a 12" with Link, with two pieces, "Haters Hate" and "Murder Kings'", where black metal influences come to punctuate the blackness and the aggressiveness of their music... Maybe it's because Thibault of Paramnesia and Jeanne joined the band on bass? Geraniüm sounds now darker than ever, while keeping a frontal and virulent mood. Damn, I never seen them before, and I look forward to doing it one day...


And there's Jeanne. This too much underrated band from Strasbourg. This hidden gem of French screamo, a band active for 3 years now, flirting with crust and emoviolence. There's some similarities with US screamo, we really feel like it's the kind of skramz that is screamed with a hand in the back, always on the edge of soul, the end of set collapsing on the ground. I think I can say without exaggerate that I'm a fan of their music. This is exactly what I want to hear right now, and it's in that kind of band in which I would like to scream (you can sent me an email :3). Jeanne recently released a top-notch eponymous record, in the straight line of their demo, with a little veil of secret that covers it: they chose not to share the lyrics of the record and not to physically release it, for inherent reasons to the line-up that recorded this album. And I admit that it's really frustrating ... In fact, they remind me a little of what Ravin was doing, but darker. This chain of virulent and beautiful melodies at the same time, these clean riffs and these arpeggios, guiding us with kind of tenderness and disarray towards these rhythmic explosions, this cathartic chaos... It's raw, it's spontaneous... This is o.g skramz. I think this S/T will really be part of my AOTYs in 2017. Thank you very much guys, for this album. Woah.



This little scene gives me hope fot the vigor of the screamo flame in France. Whether it is for his emotional value, his political commitment, or just the urge to play it with strength and passion, he proves that what all the recent bands are trying to do is nothing in vain. We need to hold on, we need to keep the fire as nourished as it looks.

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