Il est des albums qui nous font plonger dans nos souvenirs, nos regrets, et nos peines. D'autres qui font jaillir des éclats de joie enfouis sous un brouillard de noirceur. Et certains réussissent à faire resurgir cet ensemble dans un même bloc émotionnel aussi compact que fragile, prêt à exploser à tout moment, nous étourdissant, nous écrasant, pour nous laisser les yeux rivés sur les décombres de la nébuleuse qui aura ravagé notre intra-monde. Laissant le soleil froid de l'aube briller sur les cendres de notre univers mental. Nous laissant danser sur nos ruines. C'est précisément un édifice de la sorte que deafheaven a bâti, le nommant Sunbather.
Originaire de San Francisco, le groupe a totalement retourné le public aussi bien hardcore que metal avec son premier EP, Roads To Judah, faisant suite à une démo déjà impressionnante. Le groupe y proposait une explosion sonique folle, emmenant le cascadian black metal dans les contrées les plus lointaines, pour nous permettre de vivre une odyssée aussi épique qu'onirique, à travers 4 titres impitoyables de force, de grandeur et de puissance. L'âme innocente ou plus pécheresse qui se risqua à l'écoute de ce tourment sonore, en ressortait bouleversée, sonnée, choquée. L'expérience sera dédoublée d'intensité lorsque l'âme perdue se risquera à participer à un live du groupe. J'en suis un témoin privilégié. Après avoir conquis les scènes européennes, et avoir réconcilié le black metal avec la scène hardcore, le groupe a décidé de revenir avec un premier album, bien loin de la noirceur démentielle ou nous enterrait l'EP, mais toujours aussi "jusqu'au-boutiste".
Le voyage commence dès que l'on jette un œil à l'artwork, ces couleurs douces et relaxantes, rappelant l'aube. Ce soleil frais dont je parlais tout à l'heure, nous plongeant parfaitement dans l'ambiance de l'album, qui commence sur les chapeaux de roue avec le titre "Dream House". La première chose que l'on remarque, c'est ce sentiment de joie qui découle des premières notes de guitares. Oui, deafheaven n'est plus si nihiliste que ça. Une cascade de joie, qui devient torrent, à l'explosion d'un premier blast beat. Pas de doutes, on a toujours affaire à du grand deafheaven, la même grâce, la même puissance de feu. Même si en cette place de sérénité paradoxale, c'est plutôt la rosée matinale qui prédomine. Celle que l'on se prend à imaginer sous ces arpèges hypnotisants, ces déchirures sonores impitoyables et étourdissants. Plus l'on avance dans le morceau, plus il s'adoucit. Au milieu du morceaux, une douce accalmie nous amène tendrement vers l'ultime explosion du morceau. Ultime déclamation d'un chanteur tout simplement ailleurs. Au sommet de son art et des émotions. De ce rêve sonore, il en résulte pour lui un constat, et deux questions :
- "I"m dying."
- "It is blissful ?"
- "It's like a dream ?"
- "I want to dream"
D'ultimes vœux formulés et hurlés du plus profond d'une âme en plein tourment, perdue dans ce tourbillon sonore. Un cri perçant, troublant, émouvant. Infatigable. Une muraille qui s'érige, inébranlable, un édifice sur lequel se brisera les vagues de joie. La mer se retire un instant, le temps de nous laisser refaire surface pour un instant. L'eau fait maintenant place au vent. Une douce brise de printemps qui vient nous caresser le visage, au milieu de nos souvenirs. C'est ce qu'évoque le titre "Irresistible", un titre qui porte vraiment bien son nom, aussi beau que surprenant (ce morceau est la preuve qu'on peut jouer du black metal et aimer l'emo, haha !). Ferme les yeux, laisse-toi envoûter par ces quelques notes chaleureuses, cette douce berceuse que viendra rejoindre un jeu de piano sobre, simple, qui se meurt doucement. Te voilà endormi, apaisé, les paupières lourdes. Les premiers airs de "Sunbather" seront l'éveil de ce petit instant de sommeil. Te voilà prêt à rêver une nouvelle fois. Le brouillard shoegaze recouvre maintenant dans son entièreté l'univers BM de la musique du groupe, déjà magnifiée par cet élan de lumière nouveau. Les flots sont encore tranquilles... Au bout de trois minutes d'hypnose, l’irrésistible refait surface : ces doux arpèges emo, perdus quelque part dans ces paysages humides. La sérénité dans l'agitation. Puis l'explosion. Un blast beat épique, gracieux. Les flots se déchaînent à nouveau, l'hypnose devient démence. Ce cri plaintif et invincible tient bon, résiste, et insiste. Le ciel devient un peu plus sombre désormais. Les arpèges se font plus noirs, l'eau devient acide. Une progression qui m'évoque l'univers musical de Roads To Judah, qui m'évoquait une lutte pour la beauté, une batailles dans les enfers, pour en tirer une once d'espoir, pour survivre dans le noirceur. Alors que nous étions jusque la dans la sérénité, les nuages sont venus brouiller les pistes, rendre notre chemin obscur. Mais jamais l'on arrête l'espoir. 6mn45 : Précisément ici, la lutte devient sanglante. Dernière sommation d'une guitare lancinante, étourdissante et distordue à l'extrême, et l'explosion ultime. Jamais nous ne tomberons. La lumière reprend ses droits, l'hypnose est à comble, le soleil plus brillant que jamais. Même si le titre suivant, "Please Remember", se veut plus complexe et bruitiste. La froideur des machines, d'une boucle passée à l'envers, d'un spoken word grave, froid comme la neige... Alors qui de mieux que Neige (Alcest, Peste Noire, Amesoeurs, Lantlôs, Mortifera...) en personne pour déclamer ces quelques mots ? C'est après ces quelques paroles que le morceau sombre dans un bourdonnement hypnotisant, accompagné de cette boucle sans fin, et d'un bruit assourdissant d'on ne sait quelle machine, avant que le tout ne laisse place à une belle mélodie mélancolique, adoucissant un peu le climat glacial planant jusque la sur ce titre. Une douceur qui devient trouble, sur les premiers accords de "Vertigo". On sent bien que le tout s'agite, s'accélère, et qu'une certaine anxiété s'installe, sous couvert d'une beauté mystique. Avant que le tout ne s'effondre dans des abysses shoegaze ravageuses, nauséeuses. C'est dans ce paroxysme d'étourdissement que je leva la tête vers ma fenêtre, en rédigeant cette chronique, la tête lourde, les yeux faibles, le moral ailleurs. Et que je voyais un ciel teinté de rose et d'orange, ou couraient des nuages gris et pluvieux, reflétant parfaitement ce passage aussi frissonnant que déboussolant. Pendant ce temps, un solo de guitare gracieux et grave vient sublimer cette atmosphère lancinante et tendre à la fois. Que de contrastes dans cet album. De cette descente au fond des abysses en résulte un violent assaut d'une cascade de guitares et d'un nouvel ouragan rythmique, accompagnés de hurlements plus malsains que sur les autres morceaux, pour un nouveau combat épique livré dans une noirceur certaine. Le côté "cascadian" de la musique de deafheaven n'a pas disparu , loin s'en faut ! Mais le final se voudra beaucoup plus serein et posé, dans la droite lignée des instants post-rock emo-ish que le groupe sait placer avec parcimonie, rejoint par un cri plus torturé. C'est ainsi que l'on avance vers "Windows". Un morceau qui se voudra l'espace de quatre minutes la fenêtre d'un quotidien morose, banal, ennuyeux, mortel. En témoigne ces samples d'instants de tous les jours, de klaxons, de signatures, et d'une prière vaine. Et cette nouvelle boucle bourdonnante, mais dans une fourbe tranquillité, soutenue par quelques notes de piano très graves, très lourdes. Un plongeon dans notre fatalité, ou plutôt dans notre banalité. Avant que ne surgisse le dernier éclat de lumière qui transcendera nos cœurs, "The Pecan Tree". Un coup d'éclair dans le ciel grisâtre de la morosité ambiante, comme pour nous proposer un nouvel échappatoire, laissant l'impact ravager nos cerveaux en un roulement shoegaze/post-punk embrumant et étourdissant. L'orage reprend ensuite à nouveaux, laissant éclater les averses de guitares, reflétant la lumière des éclairs surgissant ça et là. Pour lentement se calmer, laisser les éléments se calmer, puis ne plus laisser s'exprimer qu'une douce brise. Un piano calme et réconfortant, des accords attendrissants, avant l'ultime explosion post-rock, d'ultimes supplications d'un chanteur usé, ayant hurlé jusqu'au bout de ses forces. L'ultime éclat de beauté de l'album. Que dis-je, d'un catharsis.
Conclusion : Qu'il est difficile de trouver les mots pour résumer un album aussi épique et éblouissant que ce Sunbather... Cet album m'a bluffé, on en ressort presque essoufflé. Essoufflé après cette quête homérique, menant vers une joie de vivre toute paradoxale au marasme audible, au milieu des doux arpèges et des notes de pianos, et des étourdissements shoegaze. Cet album m'aura également totalement hypnotisé. J'en ai eu le tournis, et les larmes aux yeux (on aura inévitablement des souvenirs, du vécu, des rencontres... Qui reviendront à l'esprit à l'écoute de cet album). Un incroyable condensé de sérénité habite cette oeuvre pourtant explosive, extrême, éthérée. Ou comment pousser la sensation d'euphorie à son extrême. Rêver à s'en étourdir. Se sentir vivant, plus vivant que jamais. Éprouvant et surprenant. Après la bataille épique menée dans la noirceur sur Roads To Judah, nous voici désormais confronté à la plus belle des batailles : La lutte pour la lumière.
Tracklist :
01. Dream House
02. Irresistible
03. Sunbather
04. Please Remember
05. Vertigo
06. Windows
07. The Pecan Tree
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