jeudi 6 septembre 2012

T'es en retard, Gérard: Envy - All The Footprints You've Ever Left And The Fear Excepting Ahead



Il existe des oeuvres qui auront chamboulé l'existence de chacun. Cinématographique, peinte, photographique, musicale... Des oeuvres qui bouleversent nos opinions, nos émotions, nos psychologies. J'ai eu le droit à ce choc, avec cet album. À l'aube des années 2000, celui-ci a changé la donne toute entière, si ce n'est les bases mêmes, d'un art marginal et controversé: la musique emo. Innocemment guidé par les recommandations de forumeurs lorsque je découvrais l'emo, je suis tombé sur cet album, sur Deezer. A l'époque, mon petit coeur de gamin de 16 ans naïf et perdu a reçu un électrochoc. Aujourd'hui, onze ans après sa sortie, et 4 ans après cette découverte, son impact et son évidence restent les mêmes. Là ou l'insouciance des années 1990 a été pulvérisée pile après l'épisode cyclonique de Noël 1999 en France (curieusement...), Envy préparait, avec cet album, le terrain au grand bug des années 2000, à la décadence, à la modernité assassine, au déclin de l'Humanité, des adieux aux espoirs, pour une plus belle renaissance. Et il disait au revoir à l'innocence, l'insouciance, la conscience de chacun.


Tout commence là ou la raison s'achève. Tout s'enchaîne vers le point "Zero". Une douceur violente, de doux larsens, une noirceur épileptique. Les prémices de la fin. Des nappes de synthés sombres, de guitares saturées, triturées, mélancoliques. Le nuage de la vérité s'approche. L'obscurité t'enveloppe alors... Sens-tu cette brise froide? Et sonne un encéphalogramme plat. Un coeur lâche. Il en reste dix à détruire. Et c'est précisemment là, avec "Farewell To Words", que la diction de l'ultime testament commence, que les morts hurlent leur vie, que les vivants hurlent à la mort, que les prières et les haines se croisent. Ça y'est. Un mur de guitares se dresse, un mur de larmes, un tsunami émotionnel. Et la déferlante qui s'en suit n'en est que plus dévastatrice. Elle s'écrase sur la plage, la plage vide et sombre de ton âme, une cavalcade lancée par une batterie folle, des hurlements destructeurs, pris d'un vécu et d'une charge émotionnelle absolument démentielle. Soudain, un changement de rythme. Tetsuya-sama sussure une dernière volonté, avant que le tout n'explose encore une dernière fois. Et de deux. Avec "Lies, And Release From Silence", on assiste à une troisième réplique du tsunami. Une secousse mélodique, un éboulement rythmique, et une accalmie onirique. Entre deux haines, la réflexion fait encore plus mal. Donc encore plus de bien. Mais on ne prévoit jamais les répliques. Nouvelle déferlante, encore, et encore. Sans arrêt, les martèlements de batterie se succèdent, les guitares deviennent des rouleaux-compresseurs. Revoilà une accalmie. Une petite douceur dans le chaos. Un petit mot, et on recommence. Un nouveau missile sur la plaine déserte et enneigée de ta pensée. On me compte plus les victimes. Le titre suivant, "Left Hand", m'amène à parler de ce terme: screamo. Un terme maintes et maintes fois utilisé à tort et à travers, dans la musique punk et metal. Ces onze morceaux le définissent à eux seuls. À un point que quand tu enchaînes ensuite sur un groupe comme Senses Fail, tu penses écouter une sous-merde, alors que Dieu seul à quel point j'apprécie ce groupe. "Left Hand", c'est donc l'un des meilleurs exemples de screamo qui soit, un des morceaux les plus urgents et violents de cet opus. Je lève la main droite, dites "je le jure". Que dire de plus quand tout est déja scandé. Que dire de plus sur ce riff de guitare puissant comme la foudre, qui enchaîne sur la fin du morceau. Ce morceau à la fois incontrôlé et maîtrisé. Ouais, du punk. Punk is not dead, mais toi si, et les autres avec. "A Cradle Of Arguments And Anxiousness" est la pour nous le rappeler. Mais là, de manière plus douce. Une revendication doublée d'un chant clair en fond. Bienvenue dans les oubliettes de l'emo punk. La ou la froideur, les émotions brutes et la mélodie se croise, provoquant à l'occasion une explosion chimique. Rythmique? La Terre a eu le Big Bang, l'emo du deuxième millénaire a eu ce morceau d'Envy. L'album atteint un premier paroxysme avec "Mystery And Peace". Une rage sèche, puissante, enchaînant sur de doux accords. Avant que le batteur ne martèle violemment huit fois son instrument, pour relancer la furie émotionnelle, la machine saccadée et mourante, qui peu à peu descend en régime. Puis le silence. Les arpèges. Une douceur apaisante. Le soleil le lève. Et là, Tetsuya se met à chanter paisiblement, sur une instru qui doucement se met en place, avant qu'une merveilleuse explosion n'ai lieu. La plus belle de toutes celles que j'ai pu entendre dans ma jeune vie. Tetsuya se laisse aller à son plus beau chant clair, sur un magnifique plan mélodique, avant l'explosion ultime, une furie hardcore mélodique plus belle que mille cieux étoilés, immense de puissance, de grâce. Mais les nuages ne sont jamais bien loin. Le ciel s'assombrit, l'instru s'alourdit, le cri devient plus urgent, désespéré. Un de mes trips musicaux les plus intenses qui soit, un morceau qui se doit de rester dans les annales de la scène hardcore. Un de plus sur cet album. Allez, continuons. Vous êtes toujours sur Terre? "Invisible Thread" démarre sur un spoken word, sur fond de dialogues sourds. Le spoken word est vite rejoint par un mur de son surpuissant. Et nous entrons ainsi dans le morceau le plus violent de l'album, et sans doute dans l'enchaînement d'accords post-rock les plus noirs jamais exécutés. Tetsuya s'égosille à plein poumons sur un hardcore vindicatif, emmené par des arpèges sombres, qui nous mène vers une cavalcade instrumentale majestueuse à la limite du black metal, qui revient ensuite sur la rythmique hardcore originelle du morceau. La résistance est décimée, les forces armées ont le champ libre pour attaquer. C'est ainsi que "The Spira Manipulation" déboule. Un emo-punk saccadé, qui devient vite hurlé. Un morceau complexe et puissant, un peu plus lumineux que les autres. J'aime beaucoup la lignée mélodique mais tout de même violente de ce morceau. Nous voilà ensuite arrivé vers un nouveau trésor: "A Cage It Falls Into". Le morceau commence tout en douceur, tel un tout beau morceau d'indie-emo, monte progressivement en puissance, avant qu'un martèlement fou de batterie nous emmène vers une nouvelle explosion sonore, un déchaînement organisé, entrecoupée d'accalmies semblables à l'intro, tout en sonnant radieux. Quand tout se meurt, il reste une lueur: l'espoir. Mais "The Light Of My Footprints" amène bien vite le brouillard qui viendra dissimuler toute lumière. En effet, il s'agit la d'un morceau mélancolique, clair, mais toujours surpuissant. On y retrouve des lignes de chant clair semblables à celles de "Mystery And Peace", histoire de donner toujours plus de frissons. Le morceau se finit tout en douceur, sur de doux accords, qui nous apaisent. Nous endorment. Quelques petits coups de batterie, une petite phrase parlée, et le ton change. Nous venons de passer à la dernière chanson de l'album, "Your Shoes And The World To Come", qui finit l'album de la meilleure des manières: en achevant mentalement (voire même physiquement) l'auditeur. Le morceau continue sur la douceur amenée par le titre précédent, quand soudain, un grand coup de guitare lourde et dissonante vient briser l'harmonie, qui continue tout de même, et qui monte en puissance, au milieu d'autres coups secs. Et soudain, de majestueux arpèges se lèvent, qui passeraient presque pour des violons, soulignant la mélodie qui continue, qui continue... Avant que tout ne s'emballe, et que les derniers mots, les derniers accords ne soient lâchés. Rien n'arrêtera plus le groupe, dans une furie screamo déchirante, et une accalmie vite stoppée par un larsen, et le hurlement tremblant et pris par la tristesse de Tetsuya, qui laissera ensuite une dernière fois exploser le morceau, pour un dernier assaut merveilleux, dévastateur. Un dernier cri, puis plus rien. Tout s'arrête. Laissant place à une outro acoustique, une dernière douceur. Et voilà.

Prenez le temps de réfléchir quelques heures, à l'expérience que vous venez de vivre, et ensuite, dites-moi comment allez-vous...

Me concernant, à chaque écoute de cet album, j'en ressort bouleversé, la gorge nouée, le coeur vide, les yeux embués, et la tête ailleurs. Cet album est tout simplement mon CD préféré, bien que chaque album/EP du groupe soient formidables, de plus en plus planants et expérimentaux au fur et à mesure des sorties. Aujourd'hui, sur les compositions du groupe, le post-rock a pris le dessus sur le hardcore urgent et saccadé du début, mais il est encore là, plus lumineux certes, mais encore et toujours là. Grâce à ma chère et tendre princesse, j'ai assisté au concert d'Envy en Octobre 2011, à La Maroquinerie (Paris), je peux vous assurer qu'une décennie après cet album, le groupe a gardé la même énergie, le même plaisir à jouer, et a conservé sa jeunesse (et ce rien qu'au niveau vestimentaire. Ils ressemblaient presque à ces kids mi-punk mi-skateurs qui traînent sur la place de la Bastille, haha!). Un live d'Envy est une expérience intense. Sauf lorsque qu'un mec terminé à la bibine vous drague et vous donne des fessées... "All the footprints..." est ce que l'on appelle en Amérique: "a masterpiece". Toute personne sensible fan de musique extrême ne peut qu'adhérer à cet album. Sincèrement, si vous ne connaissez pas cet album, allez l'écouter, je vous promets que cela vaut le coup. Pour moi, la renaissance de l'emo, elle a commencé là. Et cet album restera à jamais l'une des oeuvres les plus puissantes du hardcore moderne. Et une pièce essentielle de ma vie.

Aucun commentaire :

Enregistrer un commentaire