dimanche 20 mars 2016

Bien À Toi est toujours le groupe le plus caliente du post-punk déprimé.



C'était vraiment le disque parfait de l'été dernier, du moins pour les moments de rêvasserie et les orages de chaleur. En juin 2015, l'un de mes groupes instrumentaux parisiens préférés, Bien À Toi, a sorti son premier full-length que j'attendais de pied ferme, qui s'est permis de ré-inventer le post-punk hypnotique et aride des Swans, ainsi que l'éther acoustique et vaporeux des Cocteau Twins, entre autres. Vous pouvez lire mes louanges sur ce disque par ici. J'avais prévu de vous faire découvrir le groupe encore un peu plus via une interview, une chose que je devrais faire plus souvent. Et nous voilà arrivé.e.s pas loin de fin Mars 2016, et rien n'a encore été publié... Autant ces garçons que moi, on a chacun été extrêmement (pré)occupés jusqu'à maintenant, ce qui explique ce retard. Alors voilà, ENFIN, mon interview de Bien À Toi. L'occasion de revenir sur la composition de ALTA LOMA, sur leur tout dernier morceau nommé "DOGRA MAGRA" paru ce mois-ci, les inspirations de ces messieurs, et quelques autres trucs rigolos.

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- Avec ALTA LOMA, on est toujours face à une musique simple en elle-même, mais un peu plus complexe dans ses progressions et son approche, un contraste intéressant mais pas facile à mettre en place, j'imagine.

Antoine : Oui, on avait cette volonté d'avoir un côté accrocheur dans les rythmes et les mélodies, quelque chose d'entraînant. Ça peut paraître paradoxal quand on écoute l'album parce que les structures sont relativement alambiquées, il y a des morceaux qui partent dans plusieurs directions, d'autres qui ont tendance à s'étirer. Mais finalement c'est avec cet album qu'on a trouvé notre équilibre en tant que groupe instrumental.

Paul : Nous n'avons rencontré que très peu d'obstacles pendant la conception de cet album. Tout est assez instinctif chez nous. Même si ça peut paraître complexe, nous jouons ces chansons naturellement. Je dirais que "0°C" est la chanson sur laquelle nous avons le plus galéré à l'enregistrement. Il y a aussi un titre que nous avons abandonné au mixage : bon, mais pas assez pour figurer sur l'album.



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- Sur les deux précédents disques, il y avait un chant crié lointain, aux paroles imperceptibles qui restent encore un mystère aujourd'hui. Il n'est plus présent sur l'album. La colère s'est estompée ?

Antoine : C'était le premier batteur du groupe qui criait sur les EPs, lui était très branché screamo et à l'époque on cherchait encore la place d'une éventuelle voix. Quand le groupe s'est formé en 2011, on n'avait pas prévu d'être un groupe instrumental, on a essayé quelques personnes derrière le micro mais rien ne fonctionnait vraiment. Le premier EP a été enregistré sans chanteur mais à l'origine ces titres-là avaient été composés avec l'intention d'y poser une voix. C'est pour ça qu'on retrouve ces quelques interventions, mais on a mixé le truc pour que ce soit presque comme un instrument supplémentaire qui se rajoute dans le fond. Après, sur le concept de cri = colère, je pense que c'est un truc un peu galvaudé, il y a tellement de groupes avec des types qui s'égosillent sans te faire ressentir la moindre rage…

Paul : Je rejoins Antoine là-dessus, nous croisons beaucoup de groupe qui crient mais très peu de violence. La colère est toujours là.



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- Ouais, je suis assez d'accord avec vous. Ça m'arrive désormais de plus en plus de tomber sur des groupes où ça joue très vite, très fort, très noir, mais où au final c'est bien plus matériel qu'émotionnel, c'est dommage. Ou alors c'est que je vieillis. Enfin, ainsi va la vie et le noyau dur.

Au moins 2 membres sur 3 jouent dans d'autres groupes qui tournent pas mal à travers la France. Ça ne vous a pas compliqué la tâche pour la composition du disque ?

Antoine : On s'adapte, pour la phase de composition on se voit pas mal en duo. À l'époque des deux premiers EPs du groupes, c'est Paul et moi qui avions peaufiné les morceaux sur mon canapé. Pendant que je composais pour l'album, Paul était en tournée avec Guérilla Poubelle, donc la majorité des titres a été finalisé avec Esteban cette fois, on a passé quelques semaines à bidouiller des démos sur Garageband. Finalement, on n'a même pas trop répété les titres en groupe avant d'entrer en studio.

Paul : Plus le groupe avance et moins je compose, effectivement. Mais il y a aussi une question de goûts et de direction, je crois qu'Antoine et Esteban sont en moins en moins emballés par mon style. Je prends pour exemple la chanson "Pour les autres" figurant sur la premier EP, cette dernière a vite été évincée des setlists. Je n'y vois aucun inconvénient car le reste me plait beaucoup !

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- Est-ce que ce background punk vous influence dans la manière de composer, votre désir de sortir des conventions musicales ?

Antoine : Le punk sort des conventions musicales ? :) (NDLR: cette réponse te vaut un cookie, cher Antoine)

Esteban : Tout mon background musical m'influence. Nous n'avons pas qu’un background "punk". Je joue et j'ai joué dans beaucoup de groupes différents. Bien À Toi est pour moi plus personnel, je participe à la composition, alors que dans mes autres groupes je suis plutôt interprète.

Paul : Le punk est très codé. à tous les niveaux et dans tous les styles de "punk". J'ai l'impression que les gens qui sortent des conventions musicales ne se revendiquent absolument pas punk ! Toujours est-il que oui, si tu écoutes certains titres de Bien À Toi que j'ai composé, il y a un lien direct avec le punk américain. À vous de le retrouver !

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- Le premier qui trouve le bon groupe gagne une invit' au prochain concert ? ;)

Votre musique est toujours assez conceptuelle, dans son ensemble, et elle l'est davantage sur le LP. Quelle était la ligne directrice avec ALTA LOMA ?

Antoine : Le concept, c'est plutôt un truc qui vient vers la fin de la composition. Une fois qu'on comprend un peu à quoi le disque va ressembler et qu'on met en place l'ordre des morceaux. Ça ne dicte pas les idées musicales mais c'est un élément qui va aider à donner un contexte à l'ensemble. Cette fois-ci, c'est l’idée de chaleur qui dominait, d'un soleil écrasant. Je crois qu'on parlait déjà de ça avant d'entrer en studio et ça nous a influencé dans le choix de certains sons. Le titre ALTA LOMA vient du roman Demande à la poussière de John Fante, son héros déambule sous le soleil dans les rues de Los Angeles, c'est un homme qui ne trouve pas sa place dans le monde moderne et qui cherche une issue. La pochette de l'album (une peinture de Felice Casorati) serait une représentation visuelle de cet échappatoire, un havre de paix à l'abri du soleil et du poids du monde. En regardant cette image, on peut presque ressentir la chaleur qu'on veut évoquer.



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- Il y a désormais une grosse place pour la guitare acoustique dans votre son, des riffs parfois japonisants. Ça me renvoie même à mes premiers émois METOL avec un truc totalement en dehors de votre style: Dir en grey, qui utilise beaucoup cet instrument, mais c'est pas fait exprès je suppose. Mais simplement, d'où vous est venue l'idée d'intégrer de l'acoustique ?

Antoine : C'est vrai que ça vient en partie de Dir En Grey, c'est un groupe dont je suis fan depuis l'adolescence. On peut parler aussi de Luna Sea, un autre groupe japonais mythique qui utilise beaucoup la guitare acoustique de manière similaire. Leur influence se sent par exemple sur l'intro de notre titre "Les baigneuses" avec ces leads de guitare acoustique par dessus une rythmique plus sale. Après, il y a énormément de groupes qui utilisent de l’acoustique de différentes façons, je citerai aussi les Cocteau Twins et Swans que j'écoutais beaucoup au moment de la composition de l’album.



Paul : Esteban et moi avons toujours posé des grattes acoustiques sur nos disques. Que ce soit sur les albums de Paul Péchenart (mon père) ou de notre ancien groupe Copenhague ou même de notre projet éphémère Cave of the Moron, on a toujours kiffé en poser !


Juste parce qu'il ne faut jamais oublier, et que Dir en grey c'est mieux que ce que tu penses.

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- Il y a souvent une petite mise en scène lors de vos lives : vous n'êtes éclairés que par de petits pieds de lampes, histoire de mettre en lumière (t'as vu comme je suis drôle ?) le côté intimiste et introspectif de votre musique. C'est quelque chose qu'on retrouvera encore à l'avenir ?

Antoine : Ce n'est pas une mise en scène systématique mais ça a plutôt à voir avec les lieux dans lesquels on joue, dans le circuit des tournées DIY ce n'est pas rare de jouer dans des bars-concerts où il n'y a pas forcément de jeux de lumière. Les lampes, c'est juste une manière de mettre l'accent sur la musique en tamisant l'ambiance sans être complètement dans le noir.

Paul : On fait avec c'qu'on trouve le soir, ouais.

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- Bon bah du coup vu que je bosse dans le luminaire, faites-moi signe si jamais vous êtes en galère de lights, je vous bricolerais des lampes ou je ferais des gestes commerciaux de 10%, c'est maximum punk.

J'ai découvert l'album sous un temps assez bizarre, un soleil pale puis un temps couvert, avec un vent fort. Ça me semble être le meilleur temps possible pour l'écouter... 

Paul : J'avoue que plus je vieillis et plus la météo influe sur mes choix musicaux ! Cependant, ALTA LOMA colle avec beaucoup de moments de ma vie, c'est assez caméléon comme bande originale d'une de mes journées (même si je ne l'écoute jamais, haha !).

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- Le nu revient souvent dans votre son, vos artworks. Pour moi, ça semble illustrer à fond l'intimisme encore une fois et la certaine fragilité qui découle de vos morceaux. Un peu comme les lampes sur scène. Ça représente quoi concrètement, au final ?

Antoine : Ça ne représente rien de précis, pour ce qui est de l'artwork de l'album il me semble que ça aide à donner un côté intemporel qui correspond bien à ce qu’on cherche. Mais je n'ai pas d’explication concrète à donner, j'aime qu’il y ait un certain mystère et que cela reste ouvert à l'interprétation de chacun. Quand j'étais ado je passais des heures à tout analyser de mes groupes préférés, des titres des morceaux à la moindre photo ou illustration dans les pochettes des CDs, et je suis dans cet état d'esprit quand je m'occupe des visuels de Bien À Toi. Chaque élément est une pierre à l'édifice qui vient enrichir l'univers du groupe. Pareil pour les titres, comme nous n'avons pas de paroles, c'est le seul moyen de créer une ambiance avec des mots. Celui qui a envie de s'intéresser à la façon dont tout ça s'enchaîne depuis le premier EP, peut y trouver une logique et des connexions. Par exemple il y a un lien entre notre nouveau morceau et une affiche de tournée de 2014.

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- Pour ou contre le naturisme ?

Antoine : Gi ga go ge gu ga go ge.

Paul : Je suis bien trop pudique pour ça !

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- Vous écoutez encore du screamo du genre des groupes pour lesquels vous avez ouvert (Suis La Lune entre autres), ou vous êtes passés à autre chose ?

Paul : J'adore Suis La Lune et les écoute depuis 2010. J'aime à fond. Il n'y a pas vraiment d'histoire de "passer à autre chose" me concernant. En 1991 j'écoutais Nirvana et Michael Jackson, en 2016 aussi.


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- Ça me rappelle encore une fois que j'ai loupé ce putain de line-up Suis La Lune / As We Draw / Man Is Not A Bird / Bien À Toi en Juillet 2012 au Klub (Paris), à cause d'une sombre histoire d'ex possessive, j'aurais ce regret toute ma vie. Et Nirvana ça reste au top en 2016, je confirme.

À chaque fois que je vois le nom de l'album, je pense à Loma Prieta. Vous aimez bien ce groupe ? Leur nouvel album défonce.

Paul : J'adore. Je les ai vu 2 fois récemment, et c'était très bien. Heureux de voir que des groupes comme ça tiennent et gardent l'énergie à chaque show. Bravo !


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- Le concept de danser en pleurant est cool, mais est-ce que balancer ALTA LOMA en soirée c'est pas un peu risqué ? Dites-moi que j'ai des chances de conclure avec un slow sur la basse mega-sex de "Ice is for the eagles"...

Antoine : Je rêve de balancer la fin de "Vert-de-gris" dans un club.

Paul : Ouais, c'est risqué. Comme dis Antoine, il faudrait sélectionner une seule partie, la plus dansante, et la mettre en boucle. Une sorte de remix night-club, là ça pourrait coller ! :)



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- Quelques mois sont passés depuis le moment où j'ai que j'ai rédigé cette interview jusqu'au jour où je la poste, et nous voici désormais à la clôture de celle-ci avec un nouveau single, "DOGRA MAGRA". Ça reste dans l'aride et le répétitif, mais on sent qu'il fait plus sombre dans l'ensemble, c'est plus boueux que sablé. Ces horizons plus "dark" et pesants, c'est ce qui va caractériser les prochains morceaux ?

Paul : On ne prévoit rien. Quand tout le monde est dispo, on se voit et on joue, c'est aussi simple que ça. La dernière fois Esteban avait ce riff, on l'a joué, on a aimé, booké un jour de studio, enregistré le titre en live, et le voilà pour vous.




Merci messieurs... Bien à vous, hohohooo.

Bien À Toi jouera avec Lascaux le 20 Avril à Rouen, avec Novak le 21 Avril à Tours, avec Acidez et Replicunts le 24 Avril à Montreuil, et avec Toundra et Valley le 25 Mai à Paris.

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