La chaleur commençait à devenir écrasante, sous ce soleil de plomb, en banlieue parisienne, en cette fin Juin, pourtant très attendue après ces mois de mauvais temps. Aller voir des concerts dans cette situation peut relever du défi, mais c'est quand même vachement agréable de s'y pointer dans une ambiance "vacances" et avec son plus beau short. La plupart des shorts étaient noirs ce soir, pour concorder avec l'ambiance musicale de ce concert : du black metal et du screamo étaient au programme à La Comédia Michelet (Montreuil), un bar-concert aux idéaux punk DIY parmi les derniers du genre en banlieue parisienne, là où la gentrification et la soit-disante "sécurité" n'ont pas encore eu raison de ces lieux où la culture alternative brille encore de mille feux. Respire, LOVE/LUST, Yotsuya Kaidan et Untitled With Drums constituaient le line-up riche et varié de cette soirée, des noms que bien peu de gens connaissent à Paris, mais une trentaine de personnes se sont quand même déplacées par curiosité, où parce qu'effectivement, elles connaissaient les groupes... En effet, le screamo n'est pas totalement mort à Paris, et on sait tou-te-s la détermination des fans de BM pour chercher à découvrir des groupes underground et dénicher des perles : je pense que cette soirée ne les aura pas déçu-e-s.
C'est le groupe de Clermont-Ferrand, Untitled With Drums, qui a ouvert la soirée, quasi dans les temps. Ils ne proposent pas de blast beats et de déluge sonore, mais plutôt quelque chose de beaucoup plus traînant et... Moite ? C'était raccord avec le temps. Il y avait un quelque chose de "stoner" dans leur musique, ce côté "musique du désert", tout en ne sonnant pas comme un truc à écouter en Mustang sur la Route 66 mais bien comme quelque chose de profondément hypnotisant. Ça m'a un peu rappelé Cloakroom, dans l'idée. Beaucoup de nouveaux morceaux ont été joués, et on fait forte impression devant une audience qui découvrait dans son ensemble le groupe français. Ça jouait fort, avec attention, sans trop d'interactions et sont plutôt concentrés sur scène. Une manière de nous mettre dans le bain, avec la même chaleur que dehors, à peu de choses près...
Le contraste avec le groupe suivant, Yotsuya Kaidan, était quelque peu violent. D'entrée de jeu, le chanteur a pris possession de la petite "fosse" (soit les 2 mètres à tout casser qui sépare la scène du mur d'en face), s'accaparant tout l'espace, aux risques et périls des personnes qui tentaient de filmer un morceau de leur set. Ils nous présentaient plusieurs titres de leur nouvel album, Baby Comet, à l'univers musical plus riche que leurs précédentes releases profondément ancrées dans le screamo. Il y a plus de chant, plus de mélodies, plus d'idées dans leurs compos. Les ukrainiens ont sacrément bien défendus leurs morceaux, les jouant quasi sans interruption sauf celle "de rigueur" pour se présenter et dire qu'ils ont du merch, C'était assez captivant, mais assez frustrant aussi car on pouvait avoir l'impression que l'espace du chanteur était SON espace, et pourtant il nous encourageait à nous approcher d'eux... Mais au final, on a tou-te-s été conquis-es par leur prestation puissante, rapide et furieuse, à l'image de beaucoup de groupes d'emo de l'Europe de l'Est, une scène qui prend tout son sens vu le climat social dans les pays post-soviétiques.
C'est LOVE/LUST qui allait leur succéder, pour lancer la partie black metal de la soirée. Ils viennent d'Allemagne, et incarnent ce renouveau de la scène RABM, soit "Red and Anarchist Black Metal", et qui connaît un regain d'activité depuis quelques années, et en réaction à la montée en flèche des populismes et du fascisme dans le metal. De plus en plus de métalleux.euses politisent leur musique à gauche, où se revendiquent comme tel, pour bien faire la distinction avec ce gros pan de la scène black metal où le nationalisme et les références guerrières, nazies, ou aux génocides sont monnaie courante. LOVE/LUST affiche clairement ses idéaux sur de chouettes stickers présents au merch, avec des logos prônant l'anarchie et l'égalité, ainsi qu'un évident "FUCK NSBM". Pendant trois-quarts d'heure, on a fait face à un bloc monolithique d'un blackgaze écrasant, éthéré mais noir, soutenu par d'épaisses couches de fumée, sans pause et sans prise de paroles, et ce malgré quelques problèmes techniques qu'a rencontré l'un de leurs guitaristes. On entendait pas bien le chant, et c'est dommage car il fait partie intégrante de leur univers et joue beaucoup dans la puissance de leur musique.
Ce fût une parfaite entrée en matière pour le clou du spectacle : les canadien-ne-s de Respire. Venu-e-s de Toronto, Respire joue ce que j'ai coutume d'appeler "une interprétation black metal d'un thème pour un film de Hayao Miyazaki". C'est très orchestral, profondément cimématographique, avec une grande sensibilité. Mais ils s'inspirent également de pointures de l'indie-rock, tels que Broken Social Scene ou American Football, du post-rock de Yndi Halda, ou du screamo de City Of Caterpillar. Ce melting-pot d'iinfluences forment une entité magnifique grâce à ces musicien-ne-s qui maîtrisent parfaitement leur sujet, qui éblouissent aussi bien les emopunx que les auditeurs de black metal depuis la sortie de leur premier album, Gravity & Grace. Iels venaient présenter à Montreuil les morceaux de leur 2ème album alors fraîchement sorti, Dénouement, composé dans la douleur et le tourment, tournant autour de l'addiction, de la dépression, de la solitude.
Des sujets très sensibles, exprimés avec passion dans leur musique, ce qu'on a clairement ressenti lors de leur prestation pleine de bienveillance et de chaleur humaine, comme en dehors : les personnes qui constituent Respire sont toutes très accessibles et n'hésitent pas à partager du temps avec les personnes venues les voir jouer. C'est chouette d'avoir ce rapport humain quelque peu naturel, de faire sauter ces barrières "spectateur.trice/artiste" encore trop souvent posées. Et sans grande surprise, on a passé un très bon moment durant leur set, où leur musique (se) vit plus encore que sur disque, aussi bien pour le groupe que pour nous, en l'écoutant au casque. Et pour l'occasion de leur tournée européenne, un trompettiste s'est joint à elleux, ce qui rendait ce live d'autant plus atypique.
Ce genre de concert est précieux. Il remet en question notre rapport à la musique, le sens qu'on lui donne. On s'y sentait bien, on pouvait très facilement s'y sentir safe. Il en faudrait tout le temps, en fait. Des soirées où il n'est pas juste question de jouer de la musique, mais de la vivre intensément. Ce sentiment-là, je l'ai souvent aux concerts qu'organisent El Mariachi. Vivement le prochain. Et vive La Comédia !
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