Dans le cadre du championnat de France de la musique instrumentale, chaque participant s'est relativement bien illustré durant la saison 2014/2015.
Totorro,
Jean Jean,
Mermonte,
Man Is Not A Bird,
Grand Détour... Tous ont désormais sorti leur premier album, chacun dans des styles très variés, de l'orchestre math-pop aux effluves shoegaze en passant par l'emo-punk instrumental ou l'électro rock déjanté, assurant pour la plupart la première partie de groupes mythiques, ou voire même carrément extérieur à l'univers alternatif :
The Dillinger Escape Plan,
Ride ou
Yelle, entre autres. Oui oui,
elle.
et là, c'est elle aussi. Il y a même un challenger hors-catégorie qui est venu s'inviter sur le terrain et qui a réussi à faire sur 9 rounds ce que toute la scène française a timidement tenté sur quelques riffs mais sur plusieurs saisons : du math-zouk, sous le nom de
Francky Goes To Pointe-à-Pitre... Et le pire, c'est que c'est génial. Mais une équipe semblait être restée sur le banc, bien décidée à ne rien en avoir à foutre des règles du jeu, et à prendre son temps plutôt que de risquer la relégation : il s'agit de
Bien à Toi.
Fondée en 2011, cette formation parisienne écume tranquillement les arrières-salles et les sous-sols français, et a sorti deux EP,
Diriger, Séduire, Convaincre et
La Faiblesse, des soundscapes troubles et intimistes, où le groupe se cherchait, mais en profitait en même temps pour tout défoncer. C'était à cheval entre post-punk, post-rock, drone... Et même un peu de screamo. Mais ce dernier élément, le trio n'en a désormais plus besoin. Fini les complaintes, les garçons ont d'autres armes en main pour exprimer la peine, pour nous la faire ressentir, tout en prenant soin de nous faire nous sentir bien, détendu, ailleurs. Sur
ALTA LOMA, le trio s'est trouvé une base musicale qui leur correspond mieux, où le but est de réussir à nous faire danser en pleurant.
Avec les deux précédents disques, j'ai écrit des chroniques assez abstraites dont je suis encore assez fier aujourd'hui, me rendant compte que cela va tout à fait de pair avec la démarche artistique du trio. La première est lisible
par ici, la seconde
par là. Alors même si je sens que je n'ai pas la même inspiration que pour ces deux écrits, j'ai choisi de rester sur le même ton pour vous raconter ce premier LP, tout aussi complexe à appréhender que le fût les deux précédents opus. Les garçons aiment jouer avec nos tympans, nos nerfs, nos âmes. J'y ai toujours trouvé une sorte de minimalisme dans leur musique, ça ne part jamais en explosions de tremolo-picking et en cavalcades de batterie, il n'y a pas de progressions classiques toute en delay/réverb', autrement dit ce n'est pas du post-rock lambda, et c'est là tout l'intérêt. Oublie la neige, les ours et les arbres, il s'agit chez eux de nous construire des paysages quelque part entre chaleur et brume, à l'aide de mélodies sèches et mélancoliques, de saccades et de boucles. Et de temps en temps, des riffs dissonants et lourds, mais jamais quand tu t'y attends, un peu comme un coup de tonnerre sous la chaleur écrasante d'un jour d'été moite. Le groupe a bien compris que leur musique avait ainsi la capacité de captiver, d'hypnotiser l'auditeur, sans passer par la facilité, ni un schéma musical commun. C'est ainsi cette caractéristique qu'a choisi de clairement mettre en avant
Bien à Toi sur
ALTA LOMA.
Comment réussir à transcender l'auditeur, le marquer, tout en lui faisant battre la mesure du pied ? Comment le faire voyager avec de simples boucles ? Ce LP nous apporte la réponse. Il s'agit de jouer sur les bonnes tonalités, de les amener avec des progressions riches en sonorités électriques, acoustiques, aussi bien douces que tribales. Pour s'assurer de ne pas perdre l'auditeur d'entrée de jeu, "Vestale" ouvre le disque sous les mêmes cieux que ceux qui recouvraient les EP. Un calme rassurant, teinté d'une sorte de mélancolie pesante mais confortable... Oui je sais, c'est bizarre. Tu sais, c'est comme ces moments ou tu es posé dans ton lit ou ton canapé, quand tu réfléchis un peu à tout et à rien, et que quand tu penses au passé, tu es pris de nostalgie, mais que ça te fait sourire. Il y a toujours cette envie de donner du rythme à la tristesse quotidienne, celle ou l'on se complaît, à lui donner de la chaleur. A illustrer le soi, en fait. Le nom du groupe n'est ainsi pas anodin. D'ailleurs, tout cela trouve son sens lorsque l'on s'interroge sur l'origine du nom de l'album : c'est une référence au roman "Ask The Dust" de John Fante : Arturo Bandini, le héros du roman, erre dans les rues sous le soleil écrasant de Los Angeles et divague dans sa chambre de l'Alta Loma Hotel. Écrivain en quête de gloire, génie auto-proclamé et crève-la-dalle, Bandini est la figure de l'homme victime d'une vie moderne qu'il n'a pas choisie. Bon, je vous avoue que je n'ai pas lu le bouquin, je me suis plutôt contenté de citer le promosheet du groupe... "Vestale" s'achève sur un riff lancinant, nauséeux, qui se répète. On a déjà commencé à se laisser plonger en soi, et il ne s'agit là que du premier tableau... S'agirait-il de vite se noyer ? "0°C" semble ainsi être la tasse que tu vas boire. Une tasse de café, celle qui te fait du bien tout les matins, dans la froideur ambiante. D'ailleurs, les parisiens avaient sorti une version prototype un peu plus froide de ce single l'an dernier, pour préparer son public à son évolution stylistique, pour se tester soi-même. Un morceau qui met bien en avant les principales caractéristiques de ce premier album : des beats dansants, un ton général mélancolique tout en restant chaleureux, et une basse qui pèse un sacré quintal sachant parfois se jouer en douceur.
L'une des grandes forces de cet album, c'est les parties acoustiques présentes dans 8 morceaux sur 10, donnant aux cieux de l'univers musical des parisiens de nouvelles couleurs, apportant également un peu de fraîcheur dans ces plaines désertiques arides, ou s'érige des "Dunes" au sable doux, mais au soleil aveuglant. Une douceur fourbe. Tout au long d'ALTA LOMA, c'est finalement un kaléidoscope aux couleurs pâles qui se dessine : on y retrouve fatalement le noir et le blanc, mais aussi le bleu, le beige, le jaune, le rouge, les couleurs violacées d'un soleil couchant. Et notamment un "Vert-de-gris" pourtant flamboyant, où ce riff noyé sous un effet chorus sonne aussi trouble qu'un mirage dans le désert, et où les rythmiques post-punk prennent une vraie place. L'album est notamment représenté par un titre éponyme long de 8 minutes, divisé en 2 parties, l'une où l'acoustique prédomine, et l'autre plus électrique et dissonante, formant un ensemble toujours envoûtant. Plus l'on écoute le LP, plus sa richesse se dévoile. Ça ne sert strictement à rien de ne l'écouter qu'une seule fois pour s'en faire une idée, c'est impossible, ou alors tu travailles chez Pitchfork. Mais après des dizaines d'écoutes, il y a une piste avec laquelle j'ai encore du mal, où les boucles sonores du trio me paraissent un peu faibles : "Ice is for eagles", qui dénote avec le reste du disque dans le sens ou ce titre est plus creux que les autres, moins passionnant.
Mais sinon, c'est dans l'ensemble une réussite, et cela me satisfait grandement, en tant que fan de la première heure de Bien à Toi. Les parisiens ont consolidé les fondations de leur son atypique, en variant leurs atmosphères et les instruments utilisés. Ça ne ressemble à rien, et c'est d'autant plus remarquable. Un beau moment d'abstraction, d'évasion, qui va au-delà des conventions. Je tiens à dire qu'il est quelque peu tombé à point nommé dans mes oreilles, et m'a fait beaucoup de bien. Pour la troisième fois, merci les petits gars.
Bisous.
English translation :
As part of the championship of France of instrumental music, each participant has pulled out of the game during the 2014/2015 season.
Totorro,
Jean Jean,
Mermonte,
Man Is Not A Bird,
Grand Détour... All these bands have now released their first album, each in a variety of styles, from math-pop orchestra to shoegaze ocean, from instrumental emo-punk to crazy electro-rock, assuring the first part of important names, or even downright external to the alternative rock universe:
The Dillinger Escape Plan,
Ride or
Yelle, among others. Yes yes,
this girl.
Her too. There's even an off-class challenger who invited themselves on the field and managed in 9 rounds a thing that all the French scene timidly tried on a few riffs but on several seasons : the math-zouk music, under the name of
Francky Goes To Pointe-à-Pitre... And guess what, it's great. But a team seemed to have remained on the bench, determined to still don't give a single fuck about the rules of the game, and take his time rather than risk a relegation:
Bien À Toi.
Founded in 2011, this Parisian trio foams quietly the back wards and French basements, and released two EPs, Diriger, Séduire, Convaincre, and La Faiblesse, some intimate and troubled soundscapes, where the band trying to find himself, but profited to the situation for taking the throne of post-stuff game in Paris. It was somewhere between post-punk, post-rock, drone ... and even a bit of screamo. But the trio don't need this now. No more complaints, the boys have other weapons on hand to express the trouble, to make us feel it, while taking care to make us feel good, relaxed, elsewhere. On ALTA LOMA, the trio found a musical core that corresponds them at best, where the goal is to succeed in making us dancing in tears.
The boys like to play with our ears, our nerves, our souls. I've always found a kind of minimalism in their music, it never goes into tremolo-picking explosions and drum cavalcades, no delay/reverb classic progressions, that isn't lambda post-rock, and that's the whole interest. Forget the snow, bears and trees, the guys built us landscapes somewhere between heat and mist, with dry and melancholic melodies, jerks and loops. And occasionally dissonant and heavy riffs, but never when you expect them, much like a thunderclap in the sweltering heat of a muggy summer day. The band has understood that their music had the ability to captivate and, to hypnotize the listener, bypassing ease nor a common musical scheme. Thus, it's this characteristic who Bien à Toi has chosen to clearly highlight on ALTA LOMA.
How to successfully transcend the listener, mark him, while he beat time with the foot? How to make him travel with simple loops? How to successfully transcend the listener, mark him, while he beat time with the foot? How to make him travel with simple loops? This LP gives us the answer : playing on the right tones, bring them with progressions rich in electric sounds, acoustic, tribal and sweet at the same time. To make sure not to lose the outset listener, "Vestale" opens the record under the same skies as those that covered the EPs. A reassuring calm, tinged with a kind of heavy but comfortable melancholy ... Yes I know, it's weird. You know, it's like those moments when you're laid in bed or your couch when you think a little of everything and nothing, and that when you think of the past, you are filled with nostalgia, but it makes you smile. There is always this desire to give rhythm to the everyday sadness where we feel good, to give him heat. To illustrate ourselves, actually. The band name is therefore not insignificant. Besides, all this finds its meaning when we wonder about the origin of the name of the album : it's a reference to the novel "Ask The Dust" by John Fante: Arturo Bandini, the novel's hero, wanders the streets under the blazing sun of Los Angeles and wanders in his room of Alta Loma Hotel. Writer in search of fame, and self-proclaimed genius, Bandini is the figure of the victim man of modern life he didn't choose. Well, I confess I haven't read the book, I simply quoted the group promosheet ... "Vestale" ends with a haunting riff played in repeat, giving a kind of nausea. We have already started to leave plunge in ourself, and it is there that the first tableau... The goal is already to make us drown? "0°C" seems to be the cup you going to drink. A cup of coffee, which keeps you warm every morning in a cold world. Besides, the Parisian band had released a bit coldest prototype of this song last year, to prepare the public to their stylistic evolution, to test himself. A piece which highlights the main features of this first album : danceable beats, generally melancholic tones who still warm, and a bass that weighs quite loud but sometimes knowing how to play smoothly.
One of the great strengths of this album is the acoustic parts present in 8 of 10 pieces, giving to the skies of the musical universe of the band some new colors, also bringing some freshness in these arid desert plains, where is erected some "Dunes" in soft sand, but with a blinding sun. A deceitful softness. Throughout ALTA LOMA, it is ultimately a pale-colored kaleidoscope that is emerging: there inevitably finds black and white but also blue, beige, yellow, red, purple colors of a setting sun. Including a "Vert-de-gris" yet flamboyant, where this riff drowned in a chorus also sounds disorder a mirage in the desert, and where post-punk rhythms take a real place. The album is in particular represented by a 8-minutes long track, divided into two parts, one where the acoustics dominates, and one more electric and dissonant, forming an ever-mesmerizing whole. The more we listen to the LP, the more its strength is revealed. It's absolutely not good to listen once to the LP to get an idea of his sound, it's impossible, or you work at Pitchfork. But after dozens of plays, there is a track with which I still have trouble, where the sound loops of the trio seems a little weak: "Ice is for eagles," which denotes to the rest of the disc in the sense that the title is more hollow than other, less exciting.
But otherwise, ALTA LOMA is overall a success, and that satisfies me greatly, as a fan of the first hour of Bien à Toi. The Parisian trio consolidated the foundations of their unusual sound, varying their atmospheres and instruments they used. It looks like nothing, and that's remarkable. A beautiful moment of abstraction, evasion, which goes beyond the conventions. I want to say that it's somewhat timely fallen in my ears and made me much good. For the third time, thank you little guys.
XOXO.